Se lancer dans le vide

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Demain est un jour qui me fait peur. J’angoisse depuis des jours en y pensant. Depuis des semaines, une équipe de professionnels et moi, nous la préparons : ta première journée à la garderie. En fait, tes premières heures à la garderie, puisque pour les premières semaines, tu y resteras seulement 2 heures par jour et ce environ 2 jours par semaine. Tu as un peu plus de 3 ans, tu es différent des autres enfants, tu as des besoins particuliers, mais tu manifestes depuis quelque temps l’envie d’aller à la garderie de ton frère. Tu pleures quand il part le matin et quand nous allons le chercher le soir, car toi aussi tu veux y aller. Bien que ton entrée exige un encadrement particulier, dont l’accompagnement constant d’une éducatrice spécialisée, je sens que tu es prêt. Tu t’ouvres au monde qui t’entoure, tu entres en contact avec les autres enfants, tu désires découvrir, jouer à de nouveaux jeux, vivre de nouvelles expériences. Tu ne parles pas encore, mais tu communiques de plus en plus tes besoins et tes désirs à l’aide de pictogrammes et de signes.

Depuis que tu es né, je te protège, comme toutes les mamans le font avec leurs enfants…non un peu plus que les autres mamans. Déjà, à quelques mois de vie, je te couvais, j’anticipais tout ce qui pouvait se passer autour de toi afin de te protéger. Certains me trouvaient intense, mais moi je savais que tu avais des besoins différents des autres. Je savais que derrière ton doux visage silencieux, se cachait un désir de se faire comprendre et aussi tout plein de besoins de toutes sortes. Les gens autour de toi me disaient souvent :  »Ben voyons ne t’en fait pas, il est bien puisqu’il ne dit rien! » Moi je te connaissais bien mon fils, je savais qu’eux ne voyaient que l’extérieur, qu’ils ne voyaient pas plus loin qu’un petit garçon dans sa bulle qui ne demandait rien. Moi je voyais au fond de tes yeux, je comprenais que tu avais besoin d’autre chose, que tu avais besoin de plus. Alors je tentais de deviner et de parler pour toi.

Après beaucoup de travail et de stimulation, tu arrives à mieux exprimer tes besoins à l’aide d’outils que nous avons mis en place pour t’aider. Tu arrives de plus en plus à te faire comprendre. Mais malgré tout le progrès que tu as fait, à la veille de ton entrée à la garderie, je ressens la même chose que lorsque tu étais bébé. J’ai peur qu’on ne te comprenne pas. J’ai peur qu’on ne voit en toi que la surface et qu’on ne cherche pas plus loin. Je lutte contre ça depuis que tu es né! Parce que je sais que lorsque tu tentes très fort de te faire comprendre, mais que personne n’y arrive, tu finis par laisser tomber, car ça devient trop lourd et trop exigent. Moi je te pousse sans cesse à ne pas abandonner et à continuer, mais je comprends que tu finisses par capituler. Je ne peux qu’imaginer à quel point cela doit être frustrant et pénible de faire tant d’efforts, mais qu’on ne te comprenne pas. Je voudrais être toujours là avec toi pour te deviner et te protéger, mais je ne peux pas. Parce que tu as tranquillement besoin de découvrir le monde qui t’entoure, en dehors de ton cocon familial. Parce que tu en manifestes l’envie et parce que cela fera pousser tes ailes.

Ne m’en veux pas, mais demain, lorsque j’irai te porter à la garderie, j’aurai l’air joyeuse et contente de te laisser entre les mains de ton éducatrice. Je garderai le sourire pour te rassurer, mais lorsque j’aurai franchi les portes de la bâtisse, je vais assurément pleurer. Pleurer de peur, d’angoisse et d’inquiétude. Parce que j’aurai l’impression de te lancer dans le vide, malgré toute la préparation et le travail accomplis, pour assurer que ton intégration se passe bien, je vais pleurer. Au fond, c’est plutôt moi qui se lance dans le vide. Toi tu sembles prêt, mais pas moi. J’ai pleuré aussi lorsque ton grand frère est entré à la garderie, j’étais un peu moins inquiète car il s’exprimait très bien, mais j’avais tout de même des craintes. Finalement, lorsque je suis allée le chercher à la fin de sa première journée, son sourire en disait long sur le genre de journée qu’il avait passée. Il m’a dit :  »J’aime ça la garderie maman! » C’est ce qui m’a rassurée et convaincue qu’il aimait y aller.

Demain lorsque j’irai te chercher, tu ne pourras pas me dire avec des mots si tu as apprécié ta première journée. Je devrai te deviner, comme je le fais depuis que tu es bébé. Ton humeur, tes tics, tes intérêts, ta rigidité, ton appétit, ton sommeil, ton anxiété et ton agressivité, je devrai être attentive à toutes ces petites choses, au moindre changement, afin de deviner comment tu te sens. Mais surtout, je regarderai au fond de tes yeux, au plus profond de ton regard, à la recherche de la petite étincelle qui brille lorsque tu te sens bien et que tu es heureux. Je tendrai l’oreille, dans l’espoir d’entendre ton rire si vrai et si sincère. Tes yeux et ton sourire me guideront, comme ils le font depuis le tout début. Bonne première journée à la garderie mon fils!

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Mère de 4 enfants, Christine a toujours su qu’elle réaliserait un jour son plus grand rêve, celui de devenir maman. Ayant travaillé plusieurs années auprès d’enfants autistes, elle croyait bien maîtriser toutes les facettes de la différence, mais lorsque son deuxième fils est né autiste, à sa grande surprise, elle réalisa qu’au fond, elle ne savait pas grand-chose sur le sujet! Son premier fils vit avec un trouble de l'information sensorielle ainsi qu'avec un trouble anxieux, son troisième fils, qu'à tant lui, vit avec une dyspraxie verbale. Le quotidien de cette famille différente est loin d'être ordinaire! Christine est aujourd'hui représentante pour des outils sensoriels et des jeux éducatifs chez Équipement de bureau Robert Légaré. Elle vous partagera ici, ses bons et moins bons moments, ainsi que ses coups de cœur en espérant sensibiliser, informer et toucher les lecteurs sur l'autisme et tout ce qui l'entoure.