Choisir ses batailles

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Ma mère m’a donné plusieurs conseils dans ma vie. À son grand dam, j’ai fait fi de la plupart mais certains de ses préceptes se sont profondément ancrés en moi. Comme choisir ses batailles…

J’ai toujours soupçonné ma mère d’être une fine négociatrice. J’admire sa manière d’amener mon père à rallier son point de vue comme si l’idée venait de lui. C’est un art qu’elle a finement perfectionné au fil des années. D’un autre côté, je sais très bien que mon père a percé à jour son manège depuis belle lurette. C’est un partage équitable des pouvoirs, fragile équilibre sur lequel repose leur quotidien. Il a fallu que je devienne mère pour comprendre à quel point ça demande du travail sur soi-même pour y arriver.

Malheureusement, je ne semble pas avoir hérité du calme olympien maternel. Des fois, j’ai l’impression d’être une « handicapée émotionnelle ». J’aime les gens, j’aime communiquer mais paradoxalement, dès qu’il y a l’ombre d’une confrontation, je deviens hypersensible et anxieuse. Juste l’idée d’argumenter me donne des sueurs froides et la nausée, mon cœur s’accélère, mes mains deviennent moites. Je me mets automatiquement en mode défensif, mon cerveau ne filtre plus les mots qui sortent de ma bouche et les larmes coulent facilement. Je préfère mille fois la fuite et l’évitement à la confrontation. Pas un très bon début pour initier une joute verbale.

Et comme l’autisme de Lyam le pousse parfois à réagir de la même façon, un lien spécial s’est créé entre nous. Une forme d’empathie, de compréhension mutuelle. Je sais, au regard dans ses yeux, quand c’est le moment de lui parler et quand il doit se retirer pour se calmer. Alors qu’avec Luis, c’est comme l’huile et le feu. Pour lui, pleurer est une marque de faiblesse. Ne pas regarder dans les yeux quand on parle, un manque de respect. Un mouvement de retrait pour aller s’isoler, une confrontation. D’un point de vue cartésien, sa tête sait que notre fils est autiste. Il s’est documenté sur le sujet, il connaît la définition médicale, il a parlé avec des spécialistes. Dans son cœur, c’est une tout autre histoire. Ce sont tous les fondements de son éducation portugaise qui volent en éclats.

Pour moi, c’est peut-être plus facile, j’ai toujours été une enfant « bizarre ». Combien de fois on m’a reproché d’être trop sensible, de vivre dans mon petit monde imaginaire. Avec le temps, j’ai appris à m’endurcir, à me forger une carapace, mais encore… Mon fils vient me chercher, remuer quelque chose de vulnérable en moi qui me pousse à le surprotéger. Luis, a un background différent. Il a appris jeune à refouler ses sentiments et à obéir à l’autorité parentale. Il est très dur envers lui-même et n’en attend pas moins de ceux qui l’entourent. C’est difficile pour lui de comprendre et d’accepter les limitations de Lyam, particulièrement le concept de l’impulsivité. Selon lui, Lyam n’a de limitations que celles qu’on lui impose. Il pourrait tout faire s’il y mettait (vraiment) de l’effort.

Et c’est là que le fameux conseil de ma mère prend tout son sens. Choisir ses batailles. J’ai compris à la dure que jamais Luis et moi nous ne serions complètement d’accord sur nos méthodes d’intervention. Nous sommes des pôles radicalement opposés. Québécoise et Portugais. Eau et Feu. Bon cop, bad cop. Il va toujours trouver que je suis trop souple et que je me laisse manger la laine sur le dos. Que je parle trop. Et moi je vais toujours lui dire de baisser le ton et de respirer par le nez avant de réagir.

Le passé fait partie de notre génétique, de nos valeurs, de ce qu’on est aujourd’hui. C’est ce qui forme notre personnalité et dicte nos actions. Mais on peut aussi  apprendre du passé et choisir d’innover, de changer la donne, de réussir là où d’autres ont échoué. Devenir parent, c’est un formidable privilège qui vient avec de grosses responsabilités. Une de celles-là est de placer le bien-être de nos enfants tout en haut de notre liste de priorités. Pas le mien, pas celui de Luis, mais le leur. Et ça, ce n’est possible que si nous unissons nos forces et que nous agissons en équipe, soudés.

J’ai parfois cédé, même quand j’étais convaincue d’avoir raison. J’ai préféré réserver ma combativité pour remporter des batailles qui semblaient perdues d’avance. Ma mère me dirait que je mature enfin, que c’est le métier qui rentre. Et vous savez quoi? Je crois que pour une fois, elle a raison. Deux mois qu’on tente le coup et déjà, on récolte le fruit de nos efforts avec Lyam : meilleur sommeil, plus de contrôle et de concentration, moins de crises et tellement plus de beaux moments en famille! C’est payant de mettre son orgueil de côté, d’apprendre à s’excuser, à pardonner mais surtout à communiquer.

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Sandra Chartier est un diamant brut aux mille facettes. Femme Phénix, maman équilibriste et amoureuse caméléon, le diagnostic TSA de son fils aîné a changé son regard sur le monde et l'a amenée à parcourir les chemins les moins fréquentés. Déménagement à l’autre bout de la province, changement d’emploi et nouvelle dynamique familiale, aucun obstacle n'est insurmontable quand on aspire au bonheur. Par le biais de l’écriture, elle s’est donné comme mission cette année de rejoindre, de sensibiliser et d’informer un maximum de gens sur son quotidien haut en couleur. Après une fructueuse collaboration avec le défunt A&ME webzine, elle est prête à affronter de nouveau défis avec notre équipe!