La scolarité d’un enfant différent : un combat permanent

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Jules est allé en crèche un an avant son entrée à l’école pour qu’il puisse socialiser et se faire des copains. Tout se passait très bien. Je suis allée présenter Jules à sa future maîtresse pour qu’ils fassent connaissance avant la rentrée. J’ai compris tout de suite qu’elle était réticente à son entrée à l’école. Le mot autisme fait peur, comme si c’était une maladie. Alors que l’autisme n’est pas une maladie contagieuse. Je lui précise que la neuro-pédiatre a rempli son dossier Maison Des Personnes Handicapées pour qu’il puisse avoir une Auxiliaire de Vie Scolaire et donc que tout le nécessaire est fait pour que Jules ait une bonne rentrée. Mais nous ne savions pas que la demande d’une AVS devait être faite par l’école dans le cadre d’une équipe éducative composée de l’équipe enseignante de l’école, du médecin scolaire, des parents et de l’enseignant référent de la MDPH.

J’emmène quand même Jules à l’école pour la rentrée, mais l’enseignante refuse d’accueillir Jules dans sa classe sans la présence d’une AVS. La directrice suit sa collègue et me dit qu’ils ont demandé à la crèche d’accueillir Jules jusqu’à ses 4 ans parce qu’il a un handicap. Je veux insister, mais elle me rétorque qu’elle peut très bien le refuser à cause de son comportement. Je suis triste et écœurée. Je rentre et je pleure toutes les larmes de mon corps. Lui est rentré à la maison sans réaction, alors qu’il s’amusait dans la cour avec ses copains de crèche.

Je réinscris Jules à la crèche pour 2 jours par semaine. Mais lorsque je l’y emmène, il hurle, crie, il ne veut pas rester là. Ses copains n’y sont plus, il est deux fois plus grand que tous les enfants qui s’y trouvent. Il n’y est plus à sa place.

En octobre a lieu la réunion éducative. L’enseignante référente demande comment s’est passée la rentrée. Je lui réponds que rien ne s’est pas passé puisque Jules n’est pas scolarisé pour le moment, la maîtresse l’ayant refusé sans AVS. Elle se retourne vers la directrice pour lui demander des comptes. Celle-ci, un peu honteuse, bredouille qu’il y a déjà 25 élèves dans la classe et qu’il serait alors trop difficile de gérer Jules en cas de crise et de violence. Mon sang ne fait qu’un tour et je réponds qu’il faut arrêter les clichés et apprendre à connaître Jules au lieu de céder aux a priori et dire des inepties.

L’enseignante référente dit qu’il faut que Jules soit scolarisé et demande à la directrice de l’accueillir, même à temps partiel. La directrice de l’école et l’enseignante nous proposent un accueil de une heure trente par jour, jusqu’à la récréation du matin. C’est un début et la maîtresse accepte de me donner des devoir pour Jules. Je plaisante en disant que je vais prendre sa place. La notification de la MDPH tombe en novembre, la demande d’AVS est acceptée. Il faut maintenant qu’une personne soit recrutée.

En classe, bien sûr, tout se passe bien. Jules se fond dans le moule de l’école, il adore ça. Un matin, je vais chercher Jules. Il est dans un coin de la classe pendant que la maîtresse s’occupe des autres et les range par deux. Je dit à Jules, sur un ton ferme, d’aller se ranger aussi et donner la main à un copain. La maîtresse, un peu surprise et interloquée, me dit : « Ha! Il faut faire comme ça? ». Ben oui, il fait la même chose que les autres et il faut se comporter avec lui comme avec tous les autres enfants, plutôt que de le laisser dans un coin et avoir peur de lui ou de ses réactions.

À la rentrée des vacances de Noël, personne n’a encore été recrutée. On nous propose de laisser Jules jusqu’à la fin de la récréation, mais sous la responsabilité et donc la présence d’un parent. C’est toujours ça de gagné. Mais Jules ne veut pas repartir, il profite de la récréation avec ses copains et à la fin, quand tous se rangent pour rentrer dans la classe, lui doit s’en aller. C’est la grosse crise, il pleure à la maison et c’est très dur de le calmer.

Après les vacances de Pâques, toujours pas d’AVS, mais comme cela se passe bien à l’école, Jules a le droit à une matinée complète par semaine. Comme par hasard, Jules commence à mieux parler et à plus communiquer.

En juin, miracle! Une AVS de l’école primaire voisine, se retrouvant sans enfant jusqu’à la fin de l’année scolaire, s’est proposée pour s’occuper de Jules. L’inspection académique a accepté et Jules a pu aller à l’école à temps plein. Pour une sortie dans un parc aquatique, la maîtresse me demande d’accompagner Jules, l’AVS ne pouvant pas venir. Elle s’assoit avec Jules et moi dans le bus. Elle me dit regretter d’avoir refusé Jules au début de l’année. Maintenant qu’il est normalement présent en classe, elle se rend compte que c’est un enfant joyeux, très concentré, très en demande d’apprentissages et très gentil.

Depuis, je croise sa maîtresse chaque année et chaque fois, elle s’excuse. J’ai beaucoup pris sur moi pendant cette période et j’en ai profité pour apprendre à travailler avec Jules et son handicap. J’ai mis plein de choses en place. Je suis restée mère et devenue maîtresse, éducatrice, etc.

Lorsque l’on parle du handicap, si on ne pense pas « fauteuil », cela fait toujours peur. À la télévision, on montre beaucoup de violence sur l’autisme, mais ces violences sont loin d’être systématiques et, si elles existent, elles sont la conséquence, la plupart du temps, de frustrations, de problèmes de communication, d’incompréhensions, etc. Mais rares sont les personnes qui cherchent à comprendre et à appréhender le handicap sans a priori. Si l’enfant n’est pas dans la normalité, alors il est exclu, quelques soient ses capacités.

Maintenant, Jules est en CE1, deuxième année d’école primaire et en tête de classe, capable de réaliser des exercices de mathématiques de l’année supérieure. Son frère Paul, atteint de trisomie 21, doit rentrer à l’école en septembre prochain. Je m’attends à un bis repetita, une autre maîtresse, un autre blocage. Je commence déjà à me préparer à étendre mon rôle de maman à celui de maîtresse et d’éducatrice…

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Je suis la maman de trois garçons de 1, 6 et 11 ans, trois rayons de soleil aussi différents les uns que les autres, mais qui éclairent nos vies tous les jours. Le plus jeune de mes trois garçons a une trisomie 21 parfaite avec un vrai chromosome en plus, bien complet sans déformation, une vraie réussite. Mon second garçon a eu un tout petit diagnostic de TSA à ses 18 mois. Mais vraiment tout petit le TSA, tout léger, et tout ce qui est petit est mignon. Et mon aîné, pour montrer la voie à ses frères, voit certaines choses de la vie en nuances de gris, surtout pour le rouge et le vert. J’ai travaillé en crèche pendant 10 ans, avec des enfants tous plus ou moins différents, parce qu’à la base chaque enfant est unique et puis parce que j’ai côtoyé des enfants autistes, des enfants trisomiques, des paraplégiques, des myopathes… J’ai aussi été animatrice en centre de loisirs puis directrice. Aujourd’hui, afin de sociabiliser mes petits bouts, je suis assistante maternelle en garde de 3 petits. J’essaie de concilier ma vie de mère et de femme, entre le travail, la maison, les visites chez les spécialistes et autre orthophoniste, psychologue, psychomot…