Toi et moi, on a fait la plus belle chose au monde, notre enfant.
Quand nous l’avons eu, comme plusieurs, le bonheur s’est vite changé en nuits blanches, biberons et cie. Notre vie qu’on croyait sortir tout droit de Pinterest nous a fait faux bonds. Les chicanes ont commencé, la fatigue nous a prise comme une araignée dans son filet. On a continué, malgré tout, on se disait qu’on surmonterait ça. Qu’après tout, l’amour pour notre enfant étais si fort qu’on enjamberait ces difficultés comme bien d’autres.
Mais les difficultés ont continué. Toi dans ton travail, tu te libérais, mais moi, j’avais l’impression de me perdre parmi les professionnels et les rendez-vous. Tu me faisais confiance, une partie de toi voyait que je n’y arrivais pas, tout simplement. Mais sans que je sache pourquoi, tu m’as laissée tout gérer. Et sans qu’on s’en rendre compte, nous, n’étais plus une option.
Je me sentais seule et j’ai décidé de continuer seule. Tu as été un bon père, tu es un excellent père. Ta force à toi est autre chose que ce que notre enfant avait besoin à ce moment-là. À ce moment-là, il avait besoin de moi, de professionnels, car personne ne comprenait sa tête qui semblait prise dans un étau qui se resserrait sur lui-même.
Enfin, après ce travail acharné, tant de rendez-vous, de papiers, de fax, de requêtes perdues et retrouvées, on l’a eu, ce diagnostic. Enfin. Lors de l’aveu du médecin, j’étais seule, encore. Dans cette salle où j’avais l’impression qu’à chaque respiration les murs se refermaient sur moi. Ce diagnostic que j’avais désiré pour avoir enfin de l’aide, je l’avais. Mais toi, tu n’étais pas là. J’ai vécu ça seule.
Je ne t’en voudrais jamais, tu avais tes limites. J’avais les miennes. Tu avais tes torts, j’avais les miens. On a chacun notre tour donné ce qu’on pouvait donner de mieux à notre enfant.
Mais je l’ai quand même vécu seule. J’ai écouté les spécialistes, j’ai couru après tout. Je suis allée chercher notre enfant qui ne se gérait plus à l’école. J’ai été là, pour ça ma force à moi à été ça. J’ai été là.
Alors quand je t’ai expliqué le diagnostic et que tu as craché dessus. Quand je t’ai expliqué qu’il faudrait des médicaments et qu’à chaque augmentation, tu t’obstines à me dire que tu n’en veux pas plus. Quand, malgré mes efforts, tu continue à gérer notre enfant comme s’il n’avait pas ces troubles dans sa tête, ça me blesse.
Ça me blesse que tu n’acceptes pas ton enfant comme il est. Que tu n’acceptes pas qu’on puisse lui donner des outils pour qu’il évolue bien. Ça me blesse, mais ce qui me blesse surtout, c’est qu’une partie de toi sait que tu repousses tout ça car tu crains que ça vienne de toi. Moi aussi j’y ai cru, un bout. Il y a longtemps, très longtemps.
Mais ce qui me blesse le plus, c’est que je me rends compte que tu ne seras jamais à la même étape de deuil que moi. Car le procédé, tu ne l’as pas fait. Tu n’es pas venu au rendez-vous. Tu n’as pas vu les spécialistes. Tu ne l’as pas vu éclater en milles morceaux quand j’allais le chercher à l’école. Tu n’as rien vu car tu n’étais pas là.
Et je me demande si un jour tu réussiras à comprendre notre enfant autant que je le comprends.
Car tu ne sembles pas vouloir rattraper tout ça.
C’est normal, tu y es habitué, je le fais depuis trop longtemps.
Mais je te dirais une chose, je ne t’en veux pas. Tu n’étais pas là pour ça, ok. Tu es présent de bien d’autres façons pour notre enfant. Tu continues à ne pas accepter, ok. Mais regarde-moi dans les yeux, je me suis battue contre un système de santé déviant. Ça a pris des années, mais j’ai survécu aux crises, aux coups, à la fatigue, à la dépression, à l’anxiété qui me ronge de l’intérieur. Pour mon fils, j’ai grimpé des montagnes qui n’ont jamais existées, car je les ai moi-même bâties avec chaque besoin unique de notre enfant.
Et j’ai réussi à lui avoir le meilleur qu’il pouvait recevoir de notre système de santé défaillant.
Je suis une lionne, une mère qui serait prête à bien des choses pour l’évolution de son enfant.
J’ai tout fait ça, sans toi.
Alors crois-moi que même si ton caractère est fort, même si je ne voulais jamais briser la relation entre nous, car nous sommes les chanceux qui s’entendent malgré tout. Si tu oses mettre des bâtons dans les roues de l’éducation de notre enfant, relis tout ce que j’ai pu faire pour lui et demande-toi si tu es prêt à le revivre ou si tu continues à me laisser ce en quoi je suis bonne.
Pour notre enfant.
Je ferais tout.
Et je suis sûre que c’est pareil pour toi. Alors je ne te demanderai jamais de forcer les étapes de ton deuil, mais je vais te demander de faire le premier pas.
Le choc, prends une bonne inspiration. Je ne te le dirais pas deux fois. Notre enfant est différent.
Voilà à toi de terminer ton chemin.
Pas pour toi, pas pour moi.
Pour notre enfant.