Ça fait cinq fois qu’on se le fait dire : la mesure de répit que nous avons obtenue, elle est exceptionnelle, cela n’est jamais arrivé dans le passé au CLSC. Et on nous a dit que ça ne voulait pas dire qu’elle serait prolongée ou répétée. « Vous êtes vraiment chanceux, très très chanceux! » nous a-t-on dit. Mon mari et moi, nous avons dit merci au moins trois fois, nous avons acquiescé timidement en exprimant toute notre reconnaissance. Malaise X 1000. Moi qui déteste déranger, il a fallu que je me répète plusieurs fois les motivations qui nous avaient poussées à faire cette demande.
À chaque fois que j’entends cette phrase-là, je fais une montée de lait. Il a fallu que mon chum tombe en arrêt de travail pour dépression et que la situation familiale s’envenime avant de la donner la fameuse mesure. Il a fallu au moins trois ans de lutte. On ne l’a pas volée à personne, on l’a quêtée, on l’a quémandée.
Au lieu de placer notre fils en centre jeunesse ou en RRC (Résidence de Réadaptation en Communauté) pour une troisième année consécutive, nous demandions à vivre une vie familiale la plus normale possible, à l’aimer et à le garder avec nous dans le but de l’accompagner tout au long de ce parcours, si sinueux soit-il. Il me semble qu’un répit aux deux semaines coûte moins cher à l’État qu’un placement de six mois? Il est certain que si ses comportements violents et opposants reprenaient le dessus et occupaient la majorité de notre quotidien, cela deviendrait invivable. En tant qu’êtres humains, pas juste parents, nous nous sommes promis de ne plus nous laisser noyer par la situation. Nous avons déjà joué au Capitaine du Titanic, celui qui est resté à bord jusqu’à la fin, mais depuis l’été dernier, nous avons décidé que la prochaine fois, nous allions prendre le canot de sauvetage… en famille et pas question de laisser quelqu’un derrière.
Les effets collatéraux sont tellement énormes : émotions en montagnes russes, épuisement, absences répétées du travail, système immunitaire à plat, tensions dans le couple, souffrances en silence pour les frères et sœurs, problèmes financiers. Même les chiens s’en ressentent, ils viennent nous coller lorsqu’on a de la peine ou ils vont se cacher lors d’une trop grosse crise. Et la maison a l’air trop souvent délabré, manque de temps ou d’énergie pour passer la balayeuse, peinturer le sous-sol ou planter des fleurs.
Une chose est certaine, vivre avec mon enfant différent m’oblige à travailler mes propres travers et très clairement, me ramène à ma propre quête spirituelle. Je n’ai pas le choix, je dois affronter mes vieux fantômes…
Accepter de déranger, moi qui ai ça en horreur,
Accepter que tout ne soit pas parfait, moi l’éternelle perfectionniste,
Accepter le moment présent, moi qui vis toujours dans le passé ou le futur,
Accepter les imprévus, moi qui aime savoir ce qui m’attend,
Accepter les orages, moi qui voudrais seulement vivre au soleil.
Lorsque j’ai les deux pieds dans une situation de crise, je commence à peine à être capable de me répéter la sage phrase de Nicole Bordeleau : « Tout passe, tout. » Même si on a l’impression d’être aspirée vers un abîme, même si on se sent catapulté dans une forêt remplie de ronces. Tout passe, on se relève et on y survit.