Les vacances d’été arrivent à grands pas. Et qui dit vacances d’été, dit vacances en famille!
Depuis deux, trois semaines, je pense aux vacances familiales… Je vois des publicités passer un peu partout, style Instagram. En image de première page resplendit la belle petite famille… Papa et maman derrière, souriants, propres, peignés, à la mode… Deux ou trois petits rejetons devant. Des papillons dans les cheveux de la poupoune, la petite chemise blanche et la raie de travers pour le petit homme et un sourire étincelant et tellllllllement avenant de l’ado de la famille… Et je me dis « Incroyable, ils sont tous droits, propres, souriants, bien habillés, sur la même photo… ET EN MÊME TEMPS! »
Et je pense à nous, en me disant que chez nous, on n’est pas tout à fait normal. Je le dis comme ça. On est de même. Pas tout à fait normal, mais pas tout à fait anormal.
Sur une autoroute à quatre voies
Sur la voie de gauche, il y a maman. La coupable de la génétique, celle qui a transmis les gênes de la tête-en-l’air, du spring au derrière et du cerveau en ébullition (communément appelé le TDAH-I). La pieuvre à six bras. Celle qui coupe les concombres, remplit le lave-vaisselle, signe des examens, répond à une demande de la pré-ado, rappelle à tout le monde d’aller prendre une douche parce que ça pue, gère une crise entre le chien et le chat pendant qu’elle effectue un don pour Opération Enfant Soleil, le tout en moins de temps qu’il n’en faut pour crier BRÛLER!
Sur la voie de droite, il y a EL PADRE! L’insoupçonné! Celui qui a l’air de rien. Ben zen. Ben relaxe. Mais qui déparle sans bon sens, écrit des mots avec des lettres inconnues, et qui n’a pas encore développé la capacité à plier du linge et répondre à un enfant en même temps. Le Roi de la coolitude avec qui rien n’est jamais grave, sauf de choisir la mauvaise marque de pain. ÇA, C’EST IMPORTANT!
Sur les deux voies du centre, il y a la pré-ado et le bébé de la famille, qui arrive à 8 ans. Deux sauterelles en trottinette. Une qui va immanquablement se retrouver en bas du parapet, faire une chute de 25 pieds, finir en back flip et atterrir sur ses deux pieds avant de crier plus fort qu’un volcan, les yeux shootés à l’adrénaline : « ON RECOMMENCE?!? » Pendant que l’autre va, à coup-sûr, se coincer une roue dans la première crevasse parce qu’un joli papillon jaune-vert-bleu-rouge-avec-des-ailes-trop-trop-belles lui a passé sous le nez et que c’était bien plus intéressant de le suivre des yeux et de s’imaginer à voler sur son dos que de regarder le chemin, droit devant.
Sur l’autoroute à quatre voies, si on est chanceux, on arrivera à faire un mètre de longueur au deux heures. Parce que pré-ado ne comprendra pas le sens d’avancer pour rien. Non, mais c’est vrai? Pourquoi avancer sur l’autoroute si on ne sait pas vraiment où l’on s’en va? Si on n’a pas l’heure exacte d’arrivée? S’il fait chaud et que ce serait tellement mieux d’aller se baigner? Si on ne l’avait pas avisée huit mois et trois jours avant le départ, et surtout, SURTOUT, si pendant ce temps-là, elle sait que ses amies sont sur Face Time! Là, c’est le carambolage assuré. La trottinette en panne d’essence, en plein milieu de la voie. Le moteur qui surchauffe. La boucane qui sort du capot et un grincement mécanique qui va hurler À L’INJUSTICE!!! En bons mécaniciens, on va sortir nos outils, EL PADRE et moi, et on va zigonner jusqu’à trouver la cause de la panne et remettre tout ce beau monde en chemin.
Si on est chanceux, on arrivera à avancer d’un autre mètre sans trop de problèmes. Jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’on a perdu le bébé (elle de 8 ans là). Perdus, EL PADRE et moi, on va regarder partout, l’air un peu hagard. « Ben voyons donc! Comment on a pu perdre notre bébé?! Tu l’as pas vu? » Qu’il va me demander, évidemment. C’est sûr, tout le monde le sait qu’une mère, ça sait toujours où sont ses petits… Là, ma génétique de A, va être pointée du doigt… Et ma génétique va répondre à grand coup de I! La pré-ado va se mettre à hurler de panique, que sa sœur est morte, sûrement dévorée par un mégalodon ou autre animal étrange qu’aucun membre normal de famille normale n’a jamais entendu parler et se mettre à sortir tous les gros mots appris depuis son entrée en maternelle. Pendant ce temps-là, EL PADRE va répéter au moins 15 fois que y’a rien de grave, qu’elle est probablement pas très loin et qu’elle va apparaître sous peu. Il va s’asseoir en plein milieu de la voie et dire qu’il va attendre ici, c’est comme ça qu’on fait quand on se perd dans le bois, il l’a appris dans les Scouts en 1968! Le trouble d’opposition au bord des lèvres, je vais prendre ma génétique de H pour me mettre en mode pro-actif et chercher partout en murmurant que c’est vraiment n’importe quoi, non mais quel idiot EL PADRE! Ça va finir d’un coup, quand la pré-ado va dire, exaspérée : « Si au moins j’avais ma tablette pour raconter ça aux filles… »
Je vais partir en vrille et parcourir la mappemonde en moins de deux minutes avant de me retrouver au point de départ, les yeux exorbités devant EL PADRE, la pré-ado, et le bébé de 8 ans qui va me saluer d’un beau hennissement. « Elle galopait dans le champs, en-dessous du viaduc », va me dire EL PADRE, du haut de sa zénitude, fier que ce soit sa stratégie qui ait remporté les honneurs. « Oui », va répondre bébé de 8 ans. « C’était pas bon pour mes sabots de galoper sur l’asphalte. Et j’avais besoin d’un foin. »
Va y avoir un petit moment de flottement où la pré-ado va soupirer en levant les yeux au ciel.
EL PADRE va se tapoter la bedaine.
Et bébé de 8 ans va essayer d’attraper des lucioles imaginaires.
La coupable de la génétique va se dire que ça se peut juste pas une famille de même!
Si on est chanceux, on réussira à faire un autre deux mètres avant la fin de l’après-midi.
Sur l’autoroute à quatre voies, finalement, on va trouver ça ben poche d’être chacun sur notre voie. Non mais, c’est vrai, qui-c’est-qui-a-décidé-ça qu’il fallait chacun avoir notre voie? On n’a pas tendance à tout accepter sans se questionner chez nous… Donc les deux sauterelles à trottinette vont se retrouver sur la même voie et EL PADRE, l’air de rien, va couper les trottinettes par la gauche et venir s’installer sur la même voie que moi.
La journée va avancer, on va gérer minimum soixante-quinze autres crises. Le soleil va lentement se coucher. On va être un peu fatigués, pis finalement, les sauterelles à trottinette vont se retrouver sur la voie de gauche, celle sur laquelle j’étais toute seule au début. Ben tranquilles, pas stressées, avec aucune responsabilité et beaucoup de temps. Elles vont se faufiler entre EL PADRE et moi et le reste de la route, on va la continuer comme ça : ben collés, parfois un peu trop sur l’autre, parfois un coude dans l’œil, une roue de trottinette sur le gros orteil. Parfois en bougonnant, parfois en hurlant de rire et en chialant, tout le temps, mais toujours ensemble.
Parce que maudit que c’est plate, tout seul sur notre voie!
On n’est pas tout à fait normal… Ni tout à fait anormal.
Le soir venu, quand on va se coucher, les quatre empilés un par-dessus l’autre, je vais demander aux filles : « Si on était une équipe, on s’appellerait comment? »
Bébé de 8 ans va répondre « les-poneys-multicolores-aux-ailes-arc-en-ciel ».
La pré-ado va répondre « les Zanormals ».
On va garder le deuxième, mais jurer que les-poneys-multicolores-aux-ailes-arc-en-ciel, ce sera le nom d’équipe des animaux de la famille.
Tout le monde va fermer les yeux et je vais penser, avant de sombrer au pays des merveilles, que j’ai encore oublié de prendre la maudite photo de nos vacances annuelles pour Instagram!