Je vois ta tête hocher de gauche à droite, de droite à gauche, alors que tu me racontes les événements de la journée. Le coin de ta bouche s’étire. Tu fais un clin d’œil. Tes yeux roulent comme pour montrer une certaine nonchalance. Tes mots se suivent, ininterrompus par ces mouvements qui secouent ton corps bien malgré toi.
Tu frottes les doigts. Tu secoues la tête comme pour repousser tes cheveux. Les muscles de ton cou bougent sous les spasmes imposés par ce non-contrôle, alors que ta bouche reste ouverte un peu comme si tu ne savais plus respirer pendant que tes mots font une pause sous les assauts de ce corps que tu ne contrôles pas toujours. Puis, tu reprends le fil de ton idée, les mots jaillissant comme si aucune interruption n’était venue les arrêter.
Je vois ces mouvements dont tu ne te plains que rarement, je les constate alors que je t’écoute. Je m’émerveille de voir comment tu réussis à continuer malgré ces désagréments qui te sont imposés. Comme si c’était normal de secouer ainsi la tête aux deux minutes, comme si tout le monde faisait la grimace entre deux phrases.
Et je m’aperçois que dans tout ce dédale d’acceptation, nous avons réussi à rendre normal justement, tous ces tics que Gilles t’imposent. Désagréables, certes certains le sont et parfois tu le nommes, non vraiment pour te plaindre, mais plutôt pour voir avec nous à trouver un moyen, une solution pour les calmer, les apaiser. Mais tu ne te caches pas. Tu n’as pas honte de qui tu es, comme tu es. Nous avons réussi malgré tout à faire en sorte que tu apprivoises Gilles, comme nous, pour en faire un membre de la famille. Un membre parfois dérangeant, parfois énervant. Mais un membre accepté, compris, avec lequel nous vivons en toute normalité.
Et c’est parce que je constate cette acceptation, cette normalisation chez nous que je continuerai à lutter pour normaliser partout. C’est ta résilience qui me nourrit, qui me pousse à continuer. C’est la confiance que j’ai que devant moi se dresse un garçon exceptionnel, aux capacités encore enfouies derrière le mur de l’immaturité. C’est le constat de ce que ce combat a fait de toi, de ton frère, de ton père, de moi, mais aussi de nous comme famille, qui me pousse à parler toujours plus fort pour détruire les murs des préjugés, la lenteur d’un système de santé que gère un gouvernement déconnecté de la réalité de familles comme la nôtre, trop nombreuses.
Je te regarde sourire en me racontant quelques histoires rocambolesques, ininterrompu par l’étirement du coin gauche de ta bouche auquel succède un clin d’œil forcé, un roulement d’épaule, un hochement de tête… Je vois tes tics qui sont plus présents que jamais en cette fin d’année scolaire. Je vois que Gilles se fait plus présent. Et je fais le serment de prendre exemple sur toi et de ne pas me laisser intimider par la monstruosité de la tâche qui nous attend pour faire reconnaître le Syndrome de Gilles de la Tourette au même titre que l’est maintenant l’Autisme, son trouble cousin.