« Autiste? Votre fille? Impossible, madame. Elle n’a pas l’air d’une autiste et elle a un bon contact visuel… »
Ça, c’est la réponse de la pédopsychiatre qui voyait ma fille de 8 ans pour la première fois de sa vie. Sans vraiment tenir compte de son dossier médical et des questionnaires remplis. Et même malgré la référence de la pédiatre qui disait « doute de TSA ». La pédopsychiatre a posé son diagnostic en deux minutes. Ma fille ne pouvait pas être autiste car « elle n’en a pas l’air » et en plus, « elle a un bon contact visuel ». Pas de tests, pas d’évaluations. Non, tout simplement parce qu’elle ne ressemble pas à un autiste et que son regard n’a pas erré durant l’entretien.
Revenons en arrière. Je consulte pour ma fille depuis qu’elle a deux ans et demi. Elle a eu maintes fois des problèmes reliés à l’anxiété. Elle a aussi déjà eu un diagnostic de trouble de la modulation sensorielle. J’ai cessé de travailler lorsqu’elle a eu quatre ans. J’étais épuisée et j’avais aussi eu une deuxième petite fille depuis. Son anxiété, sa rigidité, son intolérance face aux changements et aux imprévus, ses refus de sortir de la maison, ses nombreuses crises et désorganisations sont devenus source d’épuisement, d’inquiétudes et d’isolement. Tout a empiré lors de son entrée à la maternelle. Nous avons persisté, son père et moi, à mener chaque jour une petite fille en pleurs/crises à l’école, qui revenait ensuite complètement épuisée/en surcharge en après-midi. En pleurs à l’aller, en pleurs au retour. Cela a duré trois ans.
Trois ans pour finalement aboutir dans le bureau d’une pédopsychiatre. À ce moment, ça fait presque un an que ma fille n’est plus capable de fréquenter l’école du tout. Je lui fais l’école à la maison. Je cherche des outils pour mieux la comprendre, pour l’aider à être heureuse (votre enfant de 7 ans qui avoue « détester sa vie » c’est joyeux, non?) et pour diminuer ses difficultés. Je cherche du soutien aussi.
Mais voilà encore le même diagnostic : troubles anxieux composés de phobie sociale, phobie scolaire et anxiété de séparation, couplés à un trouble de l’opposition comorbide. Le reste du tableau (ses difficultés à quitter la maison, son intolérance face aux changements et aux transitions, ses nombreuses phobies, la difficile vie sociale, ses intérêts restreints, ses accès d’agressivité, ses sensibilités sensorielles, etc.) n’a pas été pris en compte parce qu’elle a regardé la pédopsychiatre dans les yeux… Je ne cherchais pas à tout prix le diagnostic de TSA, mais je demeurais perplexe devant l’absence d’évaluation pour l’écarter. Je souhaitais simplement l’aide appropriée pour ma fille.
Quelques mois plus tard, une psychoéducatrice en santé mentale a été attitrée au dossier, principalement pour remettre ma fille à l’école le plus vite possible. Nous, ses parents, et surtout moi sa maman, étions les premiers responsables des énormes difficultés de notre fille. Nous n’aurions « jamais dû la sortir de l’école », malgré son état dépressif confirmé par un billet médical. En le faisant, nous avions « contribué à l’escalade de ses symptômes ».
Je me sentais effectivement coupable devant tant de certitudes, mais en même temps, une petite voix me disait que l’anxiété de ma fille n’était pas le diagnostic sur lequel il fallait mettre des efforts, mais plutôt, le symptôme de quelque chose d’autre. Si nous pouvions mettre le doigt sur le « quelque chose d’autre », nous serions capable de l’aider à réguler son anxiété, ses émotions et nous pourrions mettre des outils en place et l’aider à gérer son environnement… et non pas la « casser ». Car oui, c’est ce que la psychoéducatrice m’a dit un jour : « Il faut casser ça ».
J’ai poursuivi les rencontres hebdomadaires en santé mentale infantile, sans jamais mettre de côté mes intuitions. Je ne pouvais me résoudre à laisser l’intervenante traiter l’anxiété de ma fille avec un plan d’exposition directe sans prise en considération des dommages collatéraux. Ma fille pouvait maintenant fréquenter l’école à temps partiel, mais elle recommençait à s’effondrer dès son retour à la maison. Toute son énergie disponible servait à tenter de fonctionner comme les autres dans une classe régulière sans adaptation et sans accompagnement. Avec « l’objectif » de « casser ses comportements d’évitement ».
Devant l’absence et l’impossibilité d’évaluation d’un trouble du spectre de l’autisme au public dans notre région éloignée, nous avons décidé de consulter dans une clinique privée de Montréal. Ainsi, l’année dernière, alors que ma fille venait de célébrer son 9e anniversaire, le rapport d’évaluation nous confirme qu’elle « présente un trouble du spectre de l’autisme de niveau élevé ». Pour moi, ce fut un soulagement. Réel. Je le savais. Je le sentais.
Jamais je ne regretterai d’avoir cru en mon intuition et de n’avoir pas abandonné. Depuis que je suis maman, je me dévoue pour que mes enfants bénéficient de toutes les conditions requises à leur épanouissement et ce, dans le respect de leurs particularités. Je n’ai jamais baissé les bras devant les jugements, même s’ils étaient source de difficultés, de colère et surtout, de peine…
Ma fille a maintenant 10 ans, elle bénéficie des services du Centre de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles du spectre de l’autisme de notre nouvelle région. Elle a une éducatrice en or qui ne juge jamais, qui soutient dans les moments difficiles. Mais surtout, elle a le bon suivi et les bons outils. Tout n’est pas gagné, elle a vécu tant de traumatismes… mais le futur est plus encourageant que le passé.
Écoutez-vous, ne lâchez jamais.