Monsieur le ministre de l’Éducation, ma coupe est pleine!

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Voici une lettre anonyme adressée au Ministre de l’Éducation qui représente notre quotidien, à nous, intervenants du milieu scolaire. Ces mots auraient pu être les miens et ceux de dizaines, voire de centaines d’autres enseignant(e)s.

Je suis enseignante au primaire en classe spéciale avec des élèves ayant un TSA.  J’enseigne du 3e cycle, modifié pour certains.  Je n’ai pas de planification stable, que j’utilise d’année en année car les besoins de mes élèves changent constamment.  J’enseigne dans une école sans cahiers d’exercices, ce qui implique que je dois bâtir ou chercher du matériel pour tout ce que j’enseigne.  J’aime ce que je fais même si c’est un métier exigeant et j’essaie toujours de voir le positif dans mon travail.  Mais présentement, j’y arrive difficilement. 

Depuis le début de la pandémie, j’ai suivi toutes les recommandations.  L’année dernière, dès la fermeture des écoles, j’ai inscrit mes élèves sur des plates-formes pédagogiques, je leur ai envoyé des activités.  Lorsque l’enseignement à distance est devenu obligatoire, j’ai suivi les consignes.  Et lorsque je n’étais pas en visio-conférence, je préparais du matériel adapté.

Cette année, j’ai tout mis en place pour rattraper le retard scolaire tout en poursuivant l’enseignement de nouvelles notions.  Je ne compte plus les heures investies pour planifier, préparer du matériel, me former (de ma propre initiative), soutenir les parents, les enfants, mon équipe de travail et j’en passe. Je suis épuisée et nous ne sommes même pas arrivés à Noël!  Je suis stressée que ma classe ferme, mais encore plus d’avoir le nez qui coule.  Si je dois m’absenter, qui me remplacera?  Qui s’occupera de mes élèves à besoins particuliers?  Une personne non légalement qualifiée?  Les banques de suppléants sont vides!  J’en fais des cauchemars.

J’ai accepté chaque décision, changement de décision, retour sur la décision et nouvelle décision que vous avez prises.  Mais là, je suis à bout.

Premièrement, lorsque vous faites vos conférences de presse, je trouve que c’est un immense manque de respect envers le personnel de l’éducation que de leur annoncer des décisions qui touchent directement leur quotidien via les médias, d’autant plus que les annonces concernant l’enseignement sont souvent faites pendant les heures de classe.  Et oui, figurez-vous que j’enseigne moi à 11h, je ne suis pas devant la télévision!  Comment croyez-vous que je me sens quand c’est un parent qui m’annonce les nouvelles mesures que je devrai appliquer quand je ne suis même pas encore au courant!  Je me sens diminuée.  Quel manque de considération!

Deuxièmement, suite à votre annonce concernant l’enseignement à distance pour tous les enfants qui sont à la maison, en attente de résultats, qui ont reçu un résultat positif ou dont un membre de la famille est positif, je suis perplexe, voire découragée.  Encore une tâche supplémentaire!   J’ai vécu cette situation il y a deux semaines et avant même votre annonce, j’ai voulu en faire plus.  Un de mes élèves a dû s’absenter pendant 2 semaines.  Dès le lendemain de son départ, je lui ai préparé un plan de travail pour les 8 jours d’école (il y avait 2 journées pédagogiques).  J’ai donc préparé son matériel pour apporter à la maison : récupérer son matériel, mettre des travaux dans les duo-tangs, mettre des « post-it » sur les pages à faire dans les cahiers, ajouter des explications pour certaines activités, etc.  Ensuite, j’ai planifié des rencontres Teams (2 à 3 par jour) pour que l’élève participe à mes enseignements.  J’ai pris des nouvelles de la famille, via plusieurs courriels.  Tous les jours, je me suis connectée sur Teams avec mon téléphone personnel, placé sur une table, afin que mon élève puisse me voir ainsi que le tableau lors des enseignements.  Dans certaines situations, j’ai tentée de gérer son anxiété en virtuel, tout en continuant de gérer ma classe en réel.  Tout cela en jonglant avec des problèmes de réseau, de plate-forme, etc. Ce fût une expérience qui m’a demandé beaucoup d’énergie et de temps.  Combien de temps de plus?  J’ai arrêté de compter après 4 heures.  Plus de 4 heures pour seulement 8 jours et pour un seul élève, faites le calcul. Ce sont des heures supplémentaires, ajoutées aux nombreuses heures qui débordent déjà de ma tâche.  Des heures où je ne suis pas payée, où je ne suis pas à la maison avec mes propres enfants pour les aider dans leurs devoirs.

Mais encore, je suis heureuse que mon élève ait été autonome, car je n’imagine pas mes collègues qui ont des élèves non-verbaux.  Avez-vous déjà enseigné à distance à un élève non-verbal, qui a de la difficulté à reconnaitre ses propres besoins de base, qui nécessite un enseignement individuel incluant pictogrammes et matériel à manipuler?  C’est tout un défi!  Oh, vous vous dites sûrement que nous pouvons adapter vos demandes selon la clientèle.  Mais figurez-vous que lorsque vous dites en conférence de presse que tous les élèves recevront un enseignement à distance, les parents de nos élèves aussi s’attendent à ça, sans nécessairement considérer tout ce que cela implique et faire de distinction entre un élève ayant des besoins particuliers et un élève qui suit le parcours au régulier.  Et loin de moi l’idée de vous faire croire que ce sera plus simple pour les enseignants du régulier, il vont en baver eux aussi! Vous ne faites qu’alourdir notre tâche, de jours en jours, d’annonces en annonces.

Tout ce que j’ai fait jusqu’à présent, je l’ai fait de bon cœur, parce que j’aime mes élèves et que j’ai leur réussite à cœur.  Je veux donner le meilleur de moi-même chaque jour pour ces enfants.  Est-ce que je vais pouvoir en faire autant dans quelques mois, j’en doute.  Non par manque de volonté ou de désir, mais par manque de tout!  Manque de temps, d’énergie, de ressources, de soutien, de considération, d’empathie, de respect, mais surtout, un grand manque de jugement de votre part monsieur Roberge.  Vous avez été enseignant et pourtant, vous semblez si loin de notre réalité!

Je suis une enseignante, pas un super-héros.  Et même si je maitrise l’art de l’improvisation, je n’aime pas qu’on le fasse avec ma tâche et mes conditions de travail!  Vous dites que vous prenez les meilleures décisions pour sauver l’année scolaire des élèves, mais qu’en sera-t-il de leur année lorsque tous vos enseignants seront tombés au combat?  Est-ce vous qui prendrez la relève, qui viendrez enseigner dans ma classe? Permettez-moi d’en douter…

Une enseignante en adaptation scolaire parmi tant d’autres

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