Volcan incontrôlable

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6h00, lundi matin.

Le cadran devait sonner seulement dans une demi-heure, mais j’ai dû bouger pendant mon sommeil parce qu’une vive douleur au dos m’a réveillée en sursaut, me laissant légèrement confuse et nauséeuse. À l’instant où j’ouvre les yeux, toute la scène d’hier me revient subitement en mémoire. J’ai peur de constater l’étendue des dégâts. Je suis donc là, immobile, à fixer le plafond, remplie d’appréhensions à l’idée de me lever. Tout doucement, je palpe chaque centimètre de mon corps. Je sens bien que mes côtes et mon visage sont endoloris, mais heureusement, rien de cassé. J’essaie de m’asseoir, mais le souffle me coupe. Mon corps courbaturé se rebelle et refuse de se plier à ma demande implicite. Machinalement, je sers les mâchoires, mais la douleur qui explose dans ma dent cassée me le fait amèrement regretter. Je prends une grande respiration et je roule jusqu’au bord du lit. J’étouffe un gémissement dans mon oreiller pour ne pas réveiller les enfants puis, non sans mal, j’arrive à me tenir debout dans un équilibre précaire. Je me traîne jusqu’à la salle de bain et je prends mon courage à deux mains avant de regarder mon reflet dans le miroir.

« Ouf, c’est moins pire que je pensais. Rien qui ne peut être caché avec une habile touche de maquillage. »

Une vague de soulagement fourmille le long de ma colonne vertébrale. À part un léger renflement au niveau de la lèvre inférieure, là où ma molaire a fendu, mon visage semble intact. Je déchante rapidement en constatant les hématomes sur mes bras et mes jambes. Je me verse un verre d’eau froide pour essayer de reprendre contenance. Alors que j’entrouvre la bouche pour boire, je me rends compte que l’infection à ma dent s’est muée en abcès. Ma respiration et mon rythme cardiaque s’accélèrent, mes mains deviennent moites et des points noirs dansent devant mes yeux. Les quatre cavaliers de l’Apocalypse qui sonne la charge de mon anxiété. Avec lassitude, je me laisse glisser sur le plancher et je me prends la tête à deux mains. Je suis si épuisée. Je n’ai pas la force d’affronter la journée de travail qui m’attend. Devoir inventer une histoire qui tient la route à mes collègues pour expliquer pourquoi je suis dans cet état lamentable. Me plaquer un sourire factice dans le visage en prétendant que tout va bien, alors que j’ai le cœur en miettes. Mais si je reste ici, c’est le regard inquisiteur de ma benjamine que je devrai affronter. Celui qui m’a hanté toute la nuit.

Je n’arrive même pas à trouver les mots exacts pour exprimer ma pensée. C’est rare. Tout est confus, comme un maelström d’émotions. La honte, la tristesse, la colère… la peur. Je tourne et retourne la situation dans ma tête en me demandant ce que j’aurais pu faire ou dire différemment pour éviter qu’il explose. Mais que voulez-vous, je suis sa safety zone, la personne qui l’aimera toute sa vie quoi qu’il fasse. Envers et contre tous, pour toujours et à jamais. Je sais bien qu’il regrette amèrement ses gestes et ses paroles. Qu’il ne voulait pas consciemment me faire du mal, que c’était son impulsivité qui lui a fait perdre les pédales. Il fait tellement d’efforts pour se contrôler tout le temps, que ça arrive qu’il dérape. Il est humain après tout… Et il m’aime du fond du cœur. C’est vrai, je vous le jure, il me l’a dit. Je voyais la vulnérabilité au fond de ses yeux. C’était sincère. Il m’a même offert un bouquet de pissenlit pour se faire pardonner. Et puis je sais bien que les bleus vont disparaître d’ici quelques jours. Ce qui n’empêche une petite voix pernicieuse de me susurrer à l’oreille « Ce sera quoi quand il aura 15 ans? ».

Je dois l’admettre, hier j’ai perdu la bataille contre mon fils autiste de 7 ans.

Brindille vs Hulk. Knock-out par décision unanime.

Parce que j’ai refusé de lui donner une foutue tartine au Nutella

Parce que je l’ai menacé d’aller faire une sieste pour se reprendre alors qu’il détesssste dormir…

Parce qu’il est épuisé par tous les efforts qu’il doit fournir depuis janvier pour réussir son intégration en classe régulière…

Parce que la veille, je l’avais exceptionnellement sorti de sa routine en les amenant, sa sœur et lui, au musée. J’ai même poussé ma témérité jusqu’à faire une soirée cinéma-cochonneries-camping-dans-le-salon…

C’est moi l’adulte, c’est moi la mère, c’est aussi moi la spécialiste de mon enfant.

J’aurais dû voir les signes, c’est mon rôle et bien que cette situation me fasse mal paraître, d’habitude je gère très bien. Mais cette fois-ci, j’étais seule avec les enfants pour le week-end. À cause d’une broutille, tout est parti en vrille pendant une heure. UNE HEURE! Vous savez comment c’est long et intimidant de voir son p’tit homme, habituellement si doux et affectueux, devenir un effrayant volcan en éruption? De voir au fond de son regard fou qu’il n’est plus aux commandes, que la colère et l’impulsivité ont pris le dessus? D’entendre des méchancetés et des obscénités sortir de sa bouche comme s’il vomissait les mots? Savez-vous comment on se sent quand les crachats, les morsures et les coups se mettent à pleuvoir et qu’aucune des techniques de contention habituelles ne fonctionnent? Qu’à bout de ressources, tout ce qu’on arrive à faire, c’est de le pousser dans la douche en attendant que la magie salvatrice de l’eau fasse son œuvre? Le savez-vous?

Parce que moi, je ne sais pas comment je dois dealer avec ça.

Quand je parle de cet évènement à mon entourage, j’ai l’impression qu’à leurs yeux, soit je suis faible, soit je passe pour la mère indigne « overreact »…  Mais ce n’était pas une crise ordinaire. Ou même extraordinaire. C’était la crise la plus intense que je n’ai jamais vue. Et je ne suis pas la seule à avoir tremblé devant le volcan, ma cocotte de 5 ans aussi. Telle une Valkyrie courageuse faisant fi du danger, elle a pris le téléphone et a menacé son frère d’appeler la police s’il n’arrêtait pas de me faire du mal. Mon bébé que j’ai dû réconforter et consoler en la bordant pour la nuit parce qu’elle ne comprenait pas ce qui venait de se passer. Quand les mots ne suffisent plus, les câlins peuvent être un puissant antalgique pour l’âme. Au creux de mes bras, en sécurité contre mon cœur, j’ai laissé nos larmes s’entremêler.  Dans son monde d’enfant, ça ne faisait pas de sens que son héros, son grand frère, ait réagi de façon si intense. Pas plus qu’à moi d’ailleurs.

Pour la première fois en 7 ans, j’ai eu peur de mon fils. Pas longtemps, juste quelques minutes… Mais suffisamment pour laisser une marque au fer rouge. Et je ne veux pas de cette marque. Je veux la faire disparaître parce que j’ai honte de cette peur. Mon cœur devrait être rempli d’amour inconditionnel, pas de peur. Cette émotion me semble si déplacée, si injuste, si peu représentative de l’essence même de mon fils… Je refuse qu’elle me domine parce que les choses n’ont d’importance que celles qu’on leur donnent. Je préfère croire qu’en donnant à mon fils les bons trucs et des outils efficaces pour gérer ses émotions, il y a de l’espoir que ce dérapage reste une exception. Parce que quand je le contemple, je veux voir en lui la somme de tous ses efforts. Je veux être complice de ses réussites, le soutenir dans les moments difficiles…

Mais là, maintenant, je ne sais pas quoi faire. Vers quelles ressources me tourner? Quelles sont mes options? Quelles techniques/livres/blogues/groupes pourraient m’aider? Je veux continuer à être une bonne maman et à tout faire pour que mes enfants grandissent heureux et épanouis, alors je vous invite à me partager vos trucs et vos références…

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Sandra Chartier est un diamant brut aux mille facettes. Femme Phénix, maman équilibriste et amoureuse caméléon, le diagnostic TSA de son fils aîné a changé son regard sur le monde et l'a amenée à parcourir les chemins les moins fréquentés. Déménagement à l’autre bout de la province, changement d’emploi et nouvelle dynamique familiale, aucun obstacle n'est insurmontable quand on aspire au bonheur. Par le biais de l’écriture, elle s’est donné comme mission cette année de rejoindre, de sensibiliser et d’informer un maximum de gens sur son quotidien haut en couleur. Après une fructueuse collaboration avec le défunt A&ME webzine, elle est prête à affronter de nouveau défis avec notre équipe!