Voir le monde à travers les yeux de mon fils

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Septembre 2014. Déjà deux ans que je me bats envers et contre tous pour faire évaluer mon grand. Malgré que mon entourage immédiat refuse de voir (ou croire) qu’il a besoin d’aide, mon petit cœur de maman sait déjà ce que le diagnostic viendra confirmer neuf mois plus tard : il est autiste.  Je m’efforce donc de lire tout ce qui tombe sous mes yeux, je cogne à toutes les portes et je suis la formation que le CLSC met à ma disposition, dans l’espoir de le soutenir et de l’aider du mieux que je peux. Le quotidien me dépasse, je ne reconnais plus mon petit homme habituellement si doux et gentil. Il vient de faire son entrée à la maternelle dans une classe régulière et tout va de travers. Il pleure tous les jours avant de partir pour l’école et tous les soirs au retour. Il fait des crises, s’oppose, nous affronte sur tout et rien… mais le plus triste c’est qu’il semble tellement perdu, il ne se comprend plus lui-même, se confond en excuses… Sa motivation et sa bonne humeur s’amenuisent un peu plus à chaque jour, il fait des cauchemars toutes les nuits, il a les émotions à fleur de peau…

Puis, survient une crise d’asthme, sa troisième en deux mois. Cette fois-ci, c’est l’anxiété qui l’a provoquée. À peine un mois qu’il est sorti de sa dernière hospitalisation. Autant dire qu’il ne veut absolument pas y retourner. Habituellement docile, il refuse les traitements, arrache son oxygène, lance ses médicaments, frappe le personnel hospitalier qu’il connaît portant bien maintenant.  J’ai beau tenter de leur expliquer qu’il est ultra-sensible à la douleur, à la lumière et aux bruits, que sa routine est toute chamboulée, qu’il est à bout et qu’il a peur… Rien n’y fait, la tension monte et il continue de refuser le traitement. Il est en réaction contre tous, y compris moi. Personne n’arrive à percer sa carapace et lui faire entendre raison. Sa pneumologue me somme de le raisonner, sans quoi elle devra prendre les grands moyens et le sangler pour lui administrer de force ses médicaments parce que son état empire. Je finis par me résigner à le maintenir fermement dans mes bras contre son gré et je vois dans ses yeux que moi, son dernier rempart contre l’inconnu, je viens de rejoindre « l’ennemi ». Ses yeux sont remplis d’indignation, de colère mais surtout de déception. Il ne me fait plus confiance, il se sent trahi. Quand son traitement est terminé, je le relâche et il se recroqueville dans le coin de son lit, comme un animal blessé. Dès que je tente de l’approcher, il me lance des objets, me frappe, me traite de tous les noms. Je me sens si impuissante que je sors de la chambre et m’effondre en pleurant dans le corridor…   Puis, je me souviens de ce qu’une intervenante du CLSC m’a dit lors d’un atelier : « Lorsque vous serez capable de voir le monde au travers des yeux de votre enfant, vous pourrez enfin commencer à le comprendre ».

Habituellement, je serais retournée à la chambre en le chicanant. J’aurais probablement élevé le ton. Mais j’ai plutôt séché mes larmes, j’ai pris une grande inspiration et je me suis armée de tout mon courage pour retourner le voir. Je voulais essayer quelque chose de différent. Il était encore à la même place, en boule, tout tremblant de colère. Je me suis approchée tout doucement de lui, j’ai enjambé les barreaux et j’ai grimpé dans le lit. Il s’est mis à me rouer de coups, mais j’ai tenu bon. Je me suis couchée contre lui en cuillère et je l’ai tenu très fort dans mes bras pendant qu’il se débattait. 10 minutes qui m’ont paru une éternité. Mais plus rien ne comptait à cet instant, ni les bleus, ni la douleur physique, ni les mots durs qu’il me lançait et qui transperçaient mon cœur… Pendant tout ce temps, je lui chuchotais dans le creux de l’oreille que je l’aimais, que j’étais fière de mon guerrier, que j’étais désolée de lui avoir fait de la peine, qu’il comptait plus que tout pour moi, qu’il avait le droit d’avoir peur… Puis, tout s’est arrêté aussi soudainement que ça avait commencé. Il s’est mis à trembler de tout son corps contre moi et il s’est enfin permis de pleurer. Moi aussi. Puis il s’est retourné, il m’a regardé droit dans les yeux et il m’a dit : « Maman, je suis désolé d’avoir agi comme ça. Je ne sais pas ce qui s’est passé, c’est comme si mon ballon d’émotions a gonflé, gonflé et qu’il a éclaté. Je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça. Mais je sais que je t’aime très fort. Tu me fais encore un gros câlin? Rien ne peut m’arriver dans tes bras, je suis en sécurité. »

À cet instant, j’ai su que je ne me battrais jamais en vain pour lui. Que la connaissance me permettrait de vaincre les obstacles. Mais surtout, surtout, que je ne voulais jamais perdre cette confiance que je venais d’acquérir. Qu’elle serait mon meilleur allié pour comprendre mon fils et que si je le laissais me guider, qu’il me révélerait à moi-même, qu’il me montrerait le chemin pour être une meilleure maman, un peu plus chaque jour.

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Sandra Chartier est un diamant brut aux mille facettes. Femme Phénix, maman équilibriste et amoureuse caméléon, le diagnostic TSA de son fils aîné a changé son regard sur le monde et l'a amenée à parcourir les chemins les moins fréquentés. Déménagement à l’autre bout de la province, changement d’emploi et nouvelle dynamique familiale, aucun obstacle n'est insurmontable quand on aspire au bonheur. Par le biais de l’écriture, elle s’est donné comme mission cette année de rejoindre, de sensibiliser et d’informer un maximum de gens sur son quotidien haut en couleur. Après une fructueuse collaboration avec le défunt A&ME webzine, elle est prête à affronter de nouveau défis avec notre équipe!