Et moi je ne voulais pas…

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Le Syndrome de Gilles de la Tourette est souvent décrit comme un soleil, puisque les tics sont le centre du diagnostic qui est souvent accompagné de troubles associés qui rayonnent sur tous les aspects de la vie. C’est aussi un diagnostic méconnu et encore rattaché à plusieurs préjugés. Les textes qui vous sont présentés dans ce projet visent à sensibiliser les gens, à mieux faire comprendre ce qu’est véritablement le SGT et comment il peut être vécu par chacun ou chaque famille.

Je suis une jeune maman. Enfin, plus aussi jeune aujourd’hui, mais au moment où j’ai donné la vie, j’avais tout juste 19 ans.

À cet âge-là, j’avais encore le souvenir tout frais de la madame, à la caisse du Dunkin, qui répétait quatre fois sa commande de beignes, en faisant un tour sur elle-même, tout en marmonnant certaines parties de l’anatomie humaine qui font rire n’importe quel ado plus ou moins allumé. Cette anecdote-là, je l’ai souvent racontée puis, maudit que je la trouvais drôle! Mais le 28 juillet 2006, ce n’était plus vraiment important, car j’étais devenue maman.

Hugo, c’est à toi que je parle. Tu es parfait! Dès les premières minutes, je constate que tu as tes quatre membres et tous les p’tits bouts qui vont avec. Les mois passent, tu souris, tu ris, tu fais tes nuits et je jase avec plaisir de tes progrès qui concordent exactement avec les premiers chapitres du Mieux vivre avec notre enfant .

Tu commences la garderie, tu as 10 mois. Ça me crève le cœur, mais je veux devenir quelqu’un pour toi. Tu sais, le jour où tu auras à faire un oral sur la job d’un de tes parents, je veux que tu le fasses sur moi et que tu en sois fier. Tu ne fais pas toujours tes siestes, l’éducatrice n’aime pas ça, mais tu es tellement allumé que moi, je trouve ça génial que tu veuilles profiter du calme plat du moment pour explorer le monde. Tu n’écoutes pas les histoires et tu te promènes partout. Qui a dit que la même histoire intéressait tout le monde, hein ?

Le temps passe. Tu as 3 ans, tu pètes des crises, des fois. Tu pars dans tous les sens, tu arraches les jouets et quand par malheur, tu te fais prendre, tu te fâches. Tu te fâches beaucoup. Tu pleures, tu hurles, tu enlèves ton linge et tu te mets flambant nu. Tu garoches les chaises, les livres et tu finis par t’endormir épuisé, mais comme tu es fait fort, t’épuiser, ça peut prendre des heures.

J’arrive à la garderie, j’ai le cœur qui bat à 100 000 milles à l’heure, parce que j’ai peur de lire ton agenda. J’ai la chienne, parce que je ne sais pas quoi faire avec tout ça, une fois rendus à la maison. Je te chicane ou je ne te chicane pas ? « Ce qui se passe à la garderie, reste à la garderie…«  Oui…  je veux bien, mais quand ça commence à se poursuivre à la maison, je ne sais plus trop… Si quand moi, je pète aussi ma coche, parce que tu me mords, tu me tapes, tu te sauves dans le driveway de la maison, si ça appartient à la garderie ou à la maison, parce qu’il n’y a pas de fin, pas de coupure, seulement une continuité de ce qui a commencé à 8h du mat.

« Madame, est-ce qu’il y a des changements à la maison? Hugo est de plus en plus en crise, ça perturbe le groupe et les autres groupes aussi. »

Le « des fois » des crises est devenu tout le temps.

NON, rien n’a changé à la maison. La seule chose qui a changé, c’est le site Internet qui va me donner une réponse miraculeuse du pourquoi tu te fâches comme ça. Parce que le docteur, lui, te trouve parfait. C’est vrai que quand tu es content, tu es vraiment content. Tu as les yeux brillants, un sourire d’enfer, tu donnes les plus beaux câlins du monde et tu te poses des questions que, même moi, je ne me suis jamais posées. Tu es intelligent, Hugo, des fois un peu trop, ça te rend anxieux.

Ta mamie est morte. Tu as bientôt 3 ans et tu te demandes pourquoi. Elle est partie où? Tu te demandes comment tu vas faire le jour où moi je vais mourir et comment tu pourrais faire pour t’acheter une paire d’ailes au Wal-Mart pour visiter l’au-delà. Je te réponds que logiquement, suivant l’ordre des choses, je devrais être encore sur terre un très bon moment.

4 ans, 5 ans, j’ai hâte que le CPE finisse, peut-être que tu es tanné de cet environnement-là, que tu t’emmerdes et que c’est pour ça que tu n’écoutes pas les consignes et tout le tralala. Moi, je suis en colère, parce que ce n’est pas vrai que tout est toujours de ta faute, mais tu as déjà une étiquette dans le front, sans que le ministère soit au courant. Il y a quand même une éducatrice ou deux que tu aimais beaucoup et vice versa. Elles voyaient la brillance dans tes yeux et elles t’écoutaient quand tu avais de la peine. Pour elles, tu n’étais pas un TDAH sans diagnostic ou un futur trouble oppositionnel avec provocation. Tu étais Hugo.

La maternelle. Tu adores l’école! Mais tu n’écoutes pas. Tu aimes les récréations, tu peux enfin bouger! Malgré que tu n’écoutes pas, tu progresses bien! Par contre, tu te fais suspendre, parce que tu as rentré un ami dans le mur, pourquoi? Tu ne t’en souviens plus, mais c’était pour une bonne raison.

Première année, deuxième année, tu adores autant l’école. Tu es brillant Hugo! Même que tu es premier de classe en maths. Par contre, tu te garoches en bas de ta chaise, te lèves n’importe quand, agaces les autres et te sauves du local du service de garde, quand ça va mal. Ah! Aussi, tu as l’air d’avoir toujours un mal de gorge puis, un nez qui coule aussi. Les premiers tics, mais je ne savais pas…

Juste avant ta troisième année, j’ai dû te donner une médication. L’école était à bout, moi aussi et toi aussi. Tu m’as dit : « Maman, j’essaie d’être gentil, mais je suis pas capable. » Hugo, mon amour, je vais tout faire ce que mon cœur de mère peut faire pour t’aider. Nous allons rencontrer un gentil monsieur, trois fois, qui, pour la modique somme de 1500 $, me confirme que tu as un TDAH. Bingo! Ce n’est pas si grave. Moi aussi, j’en ai un.

La quatrième année se passe bien! Aucun message dans l’agenda, aucune invitation aux rencontres de parents, tes notes sont plus que fabuleuses, les profs ne te reconnaissent plus! Et moi non plus, je ne te reconnais plus… Tu sautes sur place, tu hoches la tête, tu tournes en rond, tu clignes des yeux, tu répètes les « oui » et « OK » deux fois à chaque fin de phrase. Tu ne t’en plains pas trop, mais moi j’ai peur, j’ai de la peine. Je me souviens de la madame au Dunkin

Je me dis que ce sont les médicaments qui te font ça, parce qu’à ce qu’il paraît, ça arrive des fois. Tes tics se calment, un peu, mais pas tant que ça. Ce n’était pas seulement la médication. Tes amis te posent des questions, mais tu réponds simplement : « J’ai des tics, je sais pas pourquoi, mais c’est comme ça! »

Tu es bon Hugo. Moi, ça m’inquiète, plus que toi. Je demande à la psy de l’école de te jaser, de temps en temps et alerte tout le personnel de l’école, parce que si un jour tu te fais intimider, je veux te défendre! Mais toi, tu ne comprends pas pourquoi.

Le temps passe, un peu et j’ai de la misère à te regarder, parce que je n’accepte pas ça. Je te demande de respirer, de te calmer et même d’arrêter, même si je sais que tu n’es pas capable. Tu me dis que ça te rend mal à l’aise quand je te demande tout ça, parce que ce n’est pas moi qui vis avec ça, c’est toi.

Un jour, je demande à ton pédiatre si tu as un syndrome de Gilles de la Tourette et il me répond « probablement que oui », comme si pour lui, c’était banal, une évidence bien ordinaire. Il nous envoie donc consulter un neurologue.

Ce neurologue-là, il m’a confirmé que tu avais un Gilles de la Tourette dans ton cerveau. C’était la première fois que tu en entendais parler, parce que moi, je ne voulais pas que tu le saches. J’avais peur que tu angoisses avec ça et que tu aies peur de te mettre à dire de gros mots pas propres. Je voulais te protéger en quelque sorte, mais c’est moi que je protégeais. Toi, tu es OK avec ça, c’est moi qui ai peur, parce que je veux que tu sois intouchable.

Aujourd’hui, Hugo, tu as 10 ans, bientôt 11. Tu prends une médication pour atténuer un peu les tics et une autre pour ta concentration. Tu as plein de rêves, tu adores le soccer, tu en manges jour et nuit! Tu rêves de devenir blogueur aussi. Tu as déjà commencé d’ailleurs et je te trouve bon. Tu aurais toutes les raisons du monde de ne pas vouloir parler en public, mais tu adores ça et câline que tu es bon, drôle et cute dans ta maladresse de débutant. Je t’adore!

Il n’y a pas si longtemps, tu as fait un exposé oral sur la job d’un de tes parents et tu m’as choisie. Tu étais fier de dire que ta mère est une éducatrice spécialisée et que sa job est d’aider les gens différents. Maudit que j’étais fier que tu sois fier!

Il n’y a pas un tic au monde Hugo qui va t’empêcher de réaliser tes rêves, au contraire, utilise-les, ils font partie de toi, de ce qui fait de toi quelqu’un d’unique, comme n’importe quel être humain. Ton impulsivité, elle te sera utile, Hugo, plus tard, elle te permettra d’innover et de connecter avec le monde qui t’entoure. Affirme-toi. Continue de me remettre à ma place quand je m’inquiète trop, parce qu’après tout, comme tu m’as si bien dit : « le Gilles de la Tourette, ce n’est pas la fin du monde. »

Audrey-Anne

#sensibilisation #SGT #15maiau15juin

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