Le saut du nid

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Il est presque minuit et je n’ai pas soupé. Une journée assez folle entrecoupée par tes mille et une demandes. Une autre journée où je me dis que l’été file et que mes batteries ne se rechargent pas assez vite. Mon réservoir de patience est dans le rouge depuis longtemps, mais l’autocontrôle tient encore le volant de ma vie.

Après avoir maintes et maintes fois demandé du répit, la travailleuse sociale du CLSC a réussi un tour de force : convaincre la coordonnatrice de nous octroyer une famille d’accueil pour du répit une fin de semaine sur deux. Il faut dire que plusieurs larmes furent versées et qu’il a fallu un cri du cœur dans le bureau de ton médecin pour que le statut « Urgent » apparaisse sur la feuille. Tout ce qu’on nous proposait, c’était un répit à long terme. Papa et moi étions catégoriques : on ne veut pas te placer pour six mois, un an… Notre famille, c’est quatre personnes et deux chiens. Et aussi, nous voulons plus que tout que ta scolarisation se poursuive à l’école des Quatre-Saisons.

La visite dans la famille d’accueil s’est bien déroulée, je fais confiance à ton médecin, qui a chaudement recommandé cet endroit. Tu étais très heureux de ce premier contact, à tel point que le lendemain, après t’avoir demandé de ramasser tes vêtements, le thermomètre de la colère a subitement monté et tu as demandé de quitter pour aller habiter pour de bon avec la famille d’accueil… Bien calmement, je t’ai dit d’appeler notre travailleuse sociale et de lui faire part de ta demande. Mission impossible t’a-t-elle répondue. Ouf!

Enfin du répit, mais… Aller te porter et te chercher une fin de semaine sur deux, c’est comme si nous étions une famille séparée. Même si nous en avons besoin pour préserver notre lien, c’est aussi un geste déchirant. C’est comme te dire : « Je t’aime… mais je n’en peux plus. Je voudrais être une mère plus aimante et patiente… mais je n’en suis pas capable. J’espère que tu gagneras en autonomie et que tu t’épanouiras… mais j’ai peur. » C’est une bien drôle de façon de te jeter en bas du nid.

Tu es actuellement en camp depuis cinq jours, un des seuls moyens dont nous disposons pour avoir un peu de répit. On souhaite tellement que tu aies une belle expérience de vie! Me voilà qui m’inquiète au lieu de bénir ce moment où tu pourras prendre confiance en toi et prendre un peu de distance de la famille. Et si tu vis de l’anxiété? S’il y a un orage? Si tu te fais des ampoules et que tu ne dis pas que tu as mal? Et s’ils oublient de te donner ton médicament avant de te coucher? Et si rien ne va plus et que le téléphone sonne pour aller te chercher?

Le constat est simple : couper le cordon, c’est un geste réciproque. Tu as tendance à être fusionnel depuis ta naissance et pourtant, on pose plusieurs actions pour que tu te sentes aimé, en sécurité, autonome, fier de toi, capable d’ÊTRE à part entière. Et ce départ pour le camp me démontre à quel point j’ai, moi aussi, besoin de couper le cordon… Pour me retrouver, respirer, me déposer. Même chose pour papa. Et espérons-le, pour notre couple.

Vendredi dernier, lors de la fête de grand-maman, tu as été extraordinaire! Calme, de bonne humeur, drôle, serviable. Je t’ai félicité, remercié, je t’ai dit à quel point j’étais fière de toi et que je t’aimais. Ça faisait des lunes que je ne t’avais pas vu ainsi! Le lendemain, on a eu droit à un coco opposant, frustré, demandant. Tu ne voulais plus aller au camp. Tu faisais de la fièvre. Qu’est-ce qui pouvait bien te mettre dans cet état? Ah! Oui! Le départ pour le camp prévu dans moins de 24 heures…

Dans ma tête, tout allait vite… Je n’en pouvais plus de ces montagnes russes d’émotions. Comment pouvait-on être si heureux la veille et si malheureux le lendemain?

Je n’en peux plus de te répéter que tu es en sécurité malgré l’orage qui approche…

Je n’en peux plus de prévenir les crises en mettant en place une panoplie de moyens…

Je n’en peux plus de tenir le fort…

Je n’en peux plus de faire semblant que tout va bien quand tout va mal…

Je n’en peux plus de passer des vacances qui ne sont pas des vacances…

Je n’en peux plus de me sentir seule et dépassée…

Ton trouble d’opposition est aussi dévastateur qu’un tsunami. Je combats de toutes mes forces mon découragement, mon épuisement… L’autocritique est si dévastatrice et elle ronge mon cœur de mère. Tu n’as pas demandé de composer avec une vie si complexe. Je n’ai pas désiré une vie de famille si mouvementée. Tu me demandes de t’aimer inconditionnellement, pour le meilleur et pour le pire. Lors de la prochaine crise, je vais me brancher sur une prise d’amour de 240 Volts au lieu de ma foutue mélancolie.

Le matin de ton départ pour le camp, tu étais dans ta bulle, un peu fébrile et un brin tristounet. Lorsque tu as mis les pieds au camp, le ciel était d’un bleu immaculé, le soleil brillait de mille feux et le lac était tout simplement splendide. Un sourire a envahi ton visage. La nature et la forêt que tu aimes tant t’accueillaient à bras ouverts. Tu t’es mis à nommer les arbres sur notre chemin… Tu es tellement épatant!

Là, à cet instant précis, hier n’existait plus. Le saut du nid était devenu un moment rempli de joie et de gratitude.

Bon camp mon gars, je t’aime, profites-en au max!

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Amoureuse des mots depuis plus de quatre décennies, mon parcours professionnel est teinté d'une grande soif d'apprendre, de démystifier, d’écrire et de dire. Tout d'abord sexologue, j'ai décidé de poursuivre ma formation pour vivre une deuxième passion : l'enseignement. Maintenant enseignante au secondaire en ÉCR et en éducation à la sexualité, je travaille dans une école en milieu défavorisé depuis presque 15 ans. J'ai la chance de côtoyer une équipe inspirante et dévouée auprès d’adolescents qui ont des besoins qui dépassent bien souvent l'académique. Il y a quelques années, j'ai fondé une petite entreprise spécialisée en réseaux sociaux et en rédaction avec une collègue et amie. Mon quotidien n'est pas routinier... ni très reposant! La nature m'a dotée d'une bonne dose d'énergie, tant mieux! Mon équilibre, je le trouve à la maison, où j'ai la chance d'aimer un mari et deux garçons. Nos deux grands colosses ont des besoins particuliers et ne sont pas "qu'un paquet de troubles". Mon plus grand souhait est que mes garçons puissent se réaliser, en sachant que leur unicité a une valeur inestimable. Aujourd’hui plus que jamais, je sais que ma formation académique et mes expériences professionnelles m'aident à être une meilleure maman. Toutefois, mes enfants me donnent bien des enseignements, ça me motive à être une meilleure prof auprès de tous ces enfants différents, maintenant intégrés dans les classes dites régulières. Et c'est en leur compagnie que je poursuis ma route, guidée par la volonté de démystifier et de donner une chance à tous!