Jules

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Coucou, je me présente, je m’appelle Jules et aujourd’hui, j’ai 6 ans. Je suis le grand frère de Paul, que vous connaissez déjà avec son petit chromosome en plus. Ne me demandez pas ce que c’est, je n’ai pas tout compris.

Comme pour Paul, ma maman va vous expliquer notre parcours du combattant.

Au fait, moi je n’ai pas ce petit truc en plus mais je suis autiste, je n’ai pas tout compris non plus là-dessus, mais cela viendra. Je vous souhaite une bonne lecture.

Jules est né prématurément à 36 semaines après une menace d’accouchement prématuré pendant 2 mois. Je suis restée tout ce temps à l’hôpital, allongée avec une perfusion de Salbumol dans le bras pour empêcher les contractions. Pour l’accouchement, l’anesthésiste a réussi au bout de la troisième fois à me poser ma péridurale pour qu’au final, elle ne fasse aucun effet. J’ai donc eu le droit à un rachis mais mon col ne s’ouvrait pas à plus de 9 cm et cela s’est fini en césarienne d’urgence sous anesthésie générale. Jules était en détresse respiratoire, les poumons immatures.

J’entrevois, dans le brouillard du réveil de l’anesthésie, un ambulancier du SAMU qui me dit que l’on me prend mon bébé et c’est là que commence la dure vie de Jules, à peine arrivé au monde. Il est transféré dans un service de réanimation néonatal dans un hôpital à 40 km de là où je suis. Le seul souvenir que j’ai et qui me reste en tête, c’est sa respiration, comme s’il suffoquait, qu’il s’étouffait. Je ne l’entends pas pleurer, pourquoi ?

Il est parti pour 48 heures branché à un appareil respiratoire, avec des tubes dans le nez et la bouche et des électrodes partout sur son petit corps.

Je pleure toutes les larmes de mon corps, on est obligé de me mettre sous morphine et calmants. Je suis restée alitée plus de deux mois sous perfusion afin de le garder le plus longtemps possible dans mon ventre, et le jour J on me l’enlève. Quelle vie cruelle, quel crève-cœur, de ne pas l’avoir vu, ni de l’avoir touché.

Son papa revient me voir pour me donner des nouvelles, je ne peux pas aller le voir, ma césarienne est encore trop fraîche et il faut éviter tout risque. Je dois attendre presque deux jours avant de pouvoir le rejoindre. Souffrance, douleur, je n’y arrive pas. Le pire, c’est d’entendre tous ces bébés autour de moi, les gens qui font la fête, les bouchons de bouteille qui sautent et moi toute seule avec un berceau vide.

Dans ma tête, tout se mélange. Mon conjoint m’envoie des photos de Jules sous appareil respiratoire, piqué de la tête au pied. Je n’arrête pas de pleurer, les larmes coulent toutes seules et rien ne peut les sécher. Les infirmières passent et me voient en larmes, je veux mon bébé, pouvoir être auprès de lui, le rassurer. Je pense aussi aux inconnus qui s’occupent de lui, je ne les connais pas. Je ne sais pas comment il est, sur les photos il est sous un appareil, j’ai du mal à le voir.

Ses premiers jours de vie ce sont des inconnus qui sont près de lui. Je n’en peux plus, je ne supporte plus ces bébés voisins qui pleurent, les mamans qui crient parce que leur bébé pleure. Elles sont fatiguées, elles ne savent pas la chance qu’elles ont de pouvoir toucher, sentir leur bébé. Je passe mes deux jours sous comprimés, morphine et calmants. J’ai quelques visites, mais je n’ai pas le cœur à recevoir, je m’isole pour pleurer sous mes draps.

Le jour du transfert arrive, mais l’attente est très longue. Je veux rencontrer mon bébé, le prendre dans mes bras, le sentir, qu’il se blottisse contre moi. La route est longue, presqu’une heure. Une heure à attendre encore. À peine arrivée, je demande à aller voir mon bébé. Je ne peux toujours pas me lever, alors on m’emmène le voir dans mon lit. Mon cœur se serre. Comment est-il? Est-ce qu’il va savoir que je suis sa maman? Tant de questions se bousculent dans ma tête. J’arrive devant lui et les larmes montent. Est-ce que c’est vraiment mon bébé? Je ne l’ai pas vu à sa naissance, je demande confirmation à mon compagnon. Poser cette question me paraît ridicule, pourtant je ne pouvais pas reconnaître mon bébé.

Malheureusement, je ne le vois pas dans un bel état. Il est sous oxygène, ne pouvant respirer seul, des électrodes partout sur son corps, un appareil qui fait des sons affreux à côté de son lit, une sonde dans le nez pour le nourrir, un cathéter dans la tête et dans le pied. L’infirmière m’annonce que je ne peux pas le prendre dans mes bras pour le câliner. Je peux juste lui caresser la joue et lui parler pour le rassurer.

On me ramène dans ma chambre qui est très loin de lui. Le lendemain, un pédiatre vient me voir. Les 48 heures d’oxygène sont écoulées. Ils devraient normalement débrancher Jules de l’appareil respiratoire pour qu’il puisse respirer seul. Malheureusement, Jules n’y arrive pas, il doit encore rester sous oxygène. Je m’effondre, je ne tiendrai jamais, j’ai encore passé une nuit à entendre tous ces bébés, mais pas le mien. Le lendemain, je demande aux infirmières de me transporter pour aller voir Jules. Mais elles me répondent qu’elles n’ont pas le temps. Je ne peux plus attendre, je veux voir mon bébé. Alors je me lève, malgré la cicatrice de la césarienne encore très douloureuse. C’est très dur, je suis pliée en deux, je souffre. Il y a deux grands couloirs à traverser. Je m’appuie contre les balustrades au mur, je ne me sens pas bien, mais Jules m’attend. Je dois y arriver, quelques mètres encore et je serai avec lui. Je me sens de moins en moins bien, je vais tomber dans les pommes, mais j’y arrive enfin.

L’entrée du service de réanimation néonatale est protégée par une porte automatique avec un interphone. Je sonne et une infirmière vient m’ouvrir. Elle semble affolée en me voyant. Je dois être dans un état pitoyable. Elle va me chercher un fauteuil roulant et m’emmène voir Jules. Je reste auprès de lui toute la journée, malheureusement je ne peux pas rester avec lui la nuit.

Le lendemain matin, une infirmière vient m’annoncer une bonne nouvelle : Jules respire tout seul! Je pleure de joie. Enfin je vais pouvoir porter mon fils, lui faire des bisous, lui faire prendre un bain, lui donner le biberon. Il passe des soins intensifs aux soins continus. Ça n’est pas encore complètement gagné, mais on avance. Jules a toujours ses électrodes et l’appareil qui fait un bruit énorme à côté de lui. J’en rêve même la nuit des bips bips de cet appareil. J’ai le droit de le porter, les larmes coulent, qu’il est beau, il est si petit, il faut juste faire attention à ses électrodes. Je lui donne son premier bain, quel bonheur de pouvoir toucher ses petits pieds, ses petites mains. Je le prends régulièrement dans mes bras, je lui chante des chansons, je lui dis qu’il a un grand frère qui l’attend à la maison.

Les jours passent et Jules est toujours en soins continus, il ne se nourrit que par sonde, il n’arrive pas à boire correctement au biberon. Je dois lui stimuler la mâchoire pour qu’il boive. Je le réveille toutes les quatre heures, mais la nuit je suis trop fatiguée. Je demande aux infirmières de le faire, mais une nuit, n’arrivant pas à dormir, je me rends à son chevet à 2h du matin. Je vois Jules avec une sonde, je demande ce qui se passe et on me répond qu’il est trop long à boire, qu’il n’est pas le seul bébé à devoir être nourri. Nous ne pouvons pas sortir de l’hôpital tant que Jules ne boit pas ses biberons correctement. Mais s’il est systématiquement sondé la nuit, on tourne en rond. Donc, tous les jours, je reste avec lui matin, midi, soir et nuit pour que Jules boive ses biberons.

Finalement, Jules sort des soins continus et nous passons aux soins mère-enfant. Je vais voir une personne afin de lui dire que maintenant nous pouvons sortir, que Jules va très bien et qu’étant professionnelle en crèche je peux m’occuper de mon fils. La responsable me donne son accord. Je revis!

On va pouvoir rentrer à la maison avec notre bébé. Nous partons de l’hôpital et nous arrivons à la maison. Ce n’est que du bonheur de revoir ma maison et de rentrer avec mon bébé.

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Je suis la maman de trois garçons de 1, 6 et 11 ans, trois rayons de soleil aussi différents les uns que les autres, mais qui éclairent nos vies tous les jours. Le plus jeune de mes trois garçons a une trisomie 21 parfaite avec un vrai chromosome en plus, bien complet sans déformation, une vraie réussite. Mon second garçon a eu un tout petit diagnostic de TSA à ses 18 mois. Mais vraiment tout petit le TSA, tout léger, et tout ce qui est petit est mignon. Et mon aîné, pour montrer la voie à ses frères, voit certaines choses de la vie en nuances de gris, surtout pour le rouge et le vert. J’ai travaillé en crèche pendant 10 ans, avec des enfants tous plus ou moins différents, parce qu’à la base chaque enfant est unique et puis parce que j’ai côtoyé des enfants autistes, des enfants trisomiques, des paraplégiques, des myopathes… J’ai aussi été animatrice en centre de loisirs puis directrice. Aujourd’hui, afin de sociabiliser mes petits bouts, je suis assistante maternelle en garde de 3 petits. J’essaie de concilier ma vie de mère et de femme, entre le travail, la maison, les visites chez les spécialistes et autre orthophoniste, psychologue, psychomot…