Des miettes

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J’ai trois enfants. J’ai été élevé et j’ai grandi dans une garderie familiale, celle de ma mère. Je travaille avec des enfants à besoins spécifiques. Des enfants, j’en ai vus. Des développements rapides, moins rapides, complexes ou dans la normalité, j’en ai vus.

Je savais très bien que mon fils le plus vieux était atypique. Comme de fait, avec les années, tous mes soupçons et mes hypothèses se sont confirmés.

Vient le tour de ma troisième. Elle emprunte, elle aussi, un parcours bien à elle, un parcours différent. Alors, comme au premier, j’entreprends rapidement des démarches. On sait très bien que plus on attend pour stimuler un enfant, plus on hypothèque son développement. On sait bien. L’intervention précoce est la clé du succès. Mais ici, au Québec, on a beau se battre pour faire évaluer nos enfants rapidement pour qu’il bénéficie des services le plus tôt possible, c’est un coup d’épée dans l’eau. Ça ne donne absolument rien. Les procédures, les listes d’attentes sont tout simplement épouvantables.

C’est inconcevable de voir que pour pouvoir bénéficier d’un service au public, tu dois attendre des années pour avoir… des miettes.

Je vous concrétise le tout. Ma fille a eu un retard de développement moteur important dans ses deux premières années de vie. Je l’ai fait évaluer et traiter au privé puisque pour ça, il n’y avait AUCUN service. Après des traitements intensifs et hebdomadaires, ma fille a évolué de façon surprenante et aujourd’hui, elle ne présente plus aucune anomalie à ce niveau.

Par la suite, c’est son développement langagier qui tardait à se développer. Bon. On sait que les enfants peuvent se développer à retardement dans cette sphère et c’est pourquoi les spécialistes demandent toujours d’attendre le 3 ans avant de consulter. Parce que les enfants peuvent débloquer tout d’un coup. On sait aussi que les enfants développent une sphère à la fois. Donc, comme ma fille était très concentrée et sollicitée à développer son côté moteur, on lui a donné une chance, on lui a donné du temps.

Mais voyant la grandeur de ses difficultés et les comportements que ça engendrait, je l’ai fait évaluer… au privé. Je voulais savoir rapidement à quoi j’avais à faire et je voulais surtout qu’elle bénéficie de l’intervention précoce qui est si importante. D’autant plus que son frère a une dysphasie, on sait qu’il peut y avoir un facteur d’hérédité.

On est ressorti de là avec un beau rapport nous confirmant que ma fille avait une difficulté langagière modérée. Avec ce beau rapport et un plan de traitement déjà élaboré pour ma cocotte, je suis allée rencontrer mon CPE. J’ai fait une demande de service. Après quelques mois, j’ai reçu la confirmation que la demande de subvention au gouvernement avait été acceptée. BONHEUR!!!

Le temps de tout mettre en place, il s’écoule encore plusieurs semaines. Comme une orthophoniste coûte cher, on me propose une agente en stimulation de langage qui viendrait au CPE pour stimuler ma cocotte. J’accepte. Mais je ne me doutais pas que cette subvention tant attendue était… DES MIETTES. C’est ridicule et rire du monde. C’est tout simplement un lavage de main de la part du gouvernement. «J’ai donné, qu’ils ne m’achalent plus.» Ma fille peut donc bénéficier d’un gros 30 minutes aux deux semaines. Un gros 1 heure par mois. Pis eux autres pensent que ça va régler le problème de ma fille? Ils pensent qu’avec cette heure-là, elle sera suffisamment stimulée? C’est vraiment n’importe quoi.

Donc, je me suis revirée de bord et je l’ai mis sur la liste du CISSS. La «fameuse liste». Celle qui finit pu de finir. Ça m’a pris 2 mois pour réussir à rejoindre quelqu’un et ouvrir le dossier. Ensuite, ils nous envoient des questionnaires à remplir et à faire remplir par le milieu de garde de notre enfant. Encore plusieurs mois plus tard, ils nous convoquent à une rencontre parentale obligatoire. Tous les parents désirant des services en orthophonie pour leur enfant sont présents. Nous prenons tous placent dans une salle de conférence. Ils nous présentent le service et le processus et c’est à ce moment que j’ai semé l’émoi et désorganisé la salle. OUPS!

La clientèle du service est de 0-5 ans. Ce qui est ridicule déjà en partant car il n’y a aucun enfant en bas de 2-3 ans pouvant bénéficier du service en orthophonie étant donné les phases de développement. Ensuite, du premier appel du parent pour faire une demande de service à aller jusqu’au service d’orthophonie, le processus est d’environ 1 an et demi / 2 ans d’attente. Et vous ne savez pas la meilleure? C’est pour 3 à 4 rencontres d’orthophonie maximum. Hé oui! TOUT ÇA, pour 3 à 4 heures d’orthophonie gratuites! Quand j’ai récapitulé auprès de l’intervenante et qu’elle a confirmé mes dires, les parents se sont révoltés. Pas besoin de vous dire que plusieurs, dont moi, nous sommes levés et avons quitté la salle. J’étais furieuse de constater que notre gouvernement qui se dit généreux dans ses enveloppes, nous offrait autant d’attente pour des miettes de service. C’est ridicule et encore une fois, tellement pas considérer et aider les parents dans le besoin. Les parents outrés qui ont quitté la rencontre ont décidé d’aller investir au privé. Pas le choix. On va vendre un rein pour que notre enfant bénéficie d’une stimulation adéquate pour combler les lacunes dans son développement.

J’étais aussi triste. Triste pour tous les parents qui sont restés par faute de ne pas avoir d’autre choix que celui d’attendre les miettes du service public. Des parents sans travail, des grosses familles, des parents monoparentaux, des familles à faible revenu. Ça me déchirait le cœur. J’étais triste pour tous ces enfants qui présentaient des difficultés et qu’ils allaient recevoir que des miettes juste avant leur entrée scolaire. Il est clair que ces enfants ne bénéficieront jamais d’une thérapie optimale pour leurs besoins.

Quelle perte d’énergie et de temps pour… DES MIETTES.

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Je suis une éducatrice spécialisée de métier et maman de trois merveilleux enfants qui doivent composer avec leurs différences et les obstacles que ces différences leurs occasionnent quotidiennement. Cette vie familiale au rythme particulier nécessite plusieurs adaptations tant sur le plan familial, sur le plan amoureux que sur le plan professionnel. Je me fais un plaisir de vous partager mon vécu, ma réalité, afin de sensibiliser notre société aux enfants différents ayant des besoins différents. Connaître, comprendre, c'est mieux accepter.