Tu aurais eu 47 ans aujourd’hui; des nouvelles de ceux qui t’aiment

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Crédit photo : Brigitte Dubé

15 juin 2016, tu aurais fêté tes 47 ans aujourd’hui. Mais ce soir, les chandelles sur le gâteau brûleront pour une place laissée vacante. Un vide qui ne nous quitte pas, que l’on ressent chaque jour depuis tout près de quatre mois, ceux et celles qui t’aimions. Qui t’aimons. Un premier anniversaire fantôme, une des étapes dans un processus de deuil qui, je l’avoue, est douloureux. Parce que la première année après un départ est celle de toutes les premières fois en l’absence de cette personne qui nous a quittés. Parce que chaque jour, un petit détail me fait penser à toi. « Érik aurait aimé voir qu’Antoine adore lire ce livre qu’il lui a offert ». Ou « Oui, Charles, c’est oncle Érik qui t’avait fait ce cadeau ». Ta photo est là, en permanence chez moi, sur la tablette dans la salle à manger. À côté de celle de ton mariage avec la magnifique, merveilleuse et douce Mary-Alice. Pour conserver un heureux souvenir de toi, celui du jour où tu rayonnais alors que tu unissais ta vie à celle de ton âme sœur. Un sourire comme nous aurions aimé que tu portes sincèrement chaque jour de ta vie. Ce sourire qui nous manque. Et qui te manquait aussi…

Dans les jours suivant ton décès, je publiais une première fois ce texte dans un défunt webzine, texte qui avait alors été lu près de 20 000 fois en quelques jours. Je ne donne pas ce chiffre par vantardise. Non. Mais parce qu’en dehors d’une façon d’amorcer mon deuil en mettant mes émotions par écrit, je voulais que ce texte sensibilise au mal de vivre que trop de personnes vivant avec la différence peuvent ressentir. Et aux statistiques de lecture du texte ainsi qu’aux commentaires partagés lors de sa première diffusion, je crois que le but a été atteint. Ce geste que tu as commis, je voudrais revenir en arrière pour pouvoir l’éviter. Mais c’est impossible. Et à défaut de pouvoir sauver ta vie, ce texte aura peut-être permis d’éviter que d’autres commettent le même geste, et qu’ils parlent et cherchent de l’aide. J’ai reçu des messages de mamans qui reconnaissaient en ton récit celui de leur enfant, de leur adolescent. Des mamans qui m’ont dit vouloir faire lire le texte à la chair de leur chair pour qu’ils comprennent l’importance d’extérioriser leur mal avec des mots. Alors que pour d’autres parents, mes mots exprimaient ce qu’ils avaient vécu; une douleur qu’on sentait encore présente dans leur témoignage. Un texte qui n’aura donc pas laissé indifférent et qui aura touché sa cible. Mais j’aurais mille fois préféré ne jamais avoir à écrire ce texte…

J’aurai trouvé la bonne façon pour expliquer ta mort à tes deux neveux, en allant m’inspirer auprès de ressources spécialisées. Car il me fallait trouver les bons mots pour qu’Antoine saisisse bien le sens, dans toute sa logique autistique. On ne parle pas de la mort à un enfant autiste comme on peut le faire avec un autre enfant. Une explication très terre-à-terre, loin des images qui auraient pu causer de la confusion dans sa compréhension de la situation. Et une explication qui n’implique pas que le geste, ce soit toi qui l’aies commis. Car avec lui, ça aurait pu être comme lui donner la marche à suivre devant un éventuel mal de vivre contre lequel je l’outille du mieux que je peux. Je chercherai la bonne façon de leur expliquer pour cette partie de l’histoire, quand viendra le temps de leur dire. Antoine a bien compris qu’il ne reverrait plus oncle Érik. Charles aussi. Et comme je le pensais, c’est mon bel anxieux sensible, mon petit Charles, qui a réagi le plus émotivement à l’annonce de ta mort. Ils t’aimaient, tes deux neveux. Je tente maintenant de leur parler de toi dans des souvenirs heureux. Comme cet été 2014 où nous avions passé de beaux et bons moments avec toi et ta douce, chez vous. Des moments où la complicité était au rendez-vous. Et sache que ces deux petits neveux parlent de toi avec une émotion dans la voix.

Tu serais fier de les voir évoluer, tes neveux et nièce. Antoine gagne en maturité et prend de plus en plus conscience de sa différence. Dans ce qu’elle lui apporte de positif tout autant que les défis qui viennent avec. Du haut de ses presque 10 ans, il trouve de mieux en mieux les mots pour s’exprimer sur ce qu’il vit, ce qu’il ressent. Et plus d’une fois cet hiver et ce printemps, il a su me surprendre par le réalisme et la profondeur de certains de ses propos. Et quand je l’entends, si jeune, me dire, par exemple, qu’il a peur qu’en vieillissant les gens ne comprennent pas pourquoi il a tant besoin de câlins, autant cela me serre mon cœur de maman, autant ça me rassure car puisqu’il le verbalise, je peux trouver les bons mots pour l’apaiser. Chaque semaine, il m’épate en me démontrant comment il a intégré des concepts et des outils qui peuvent l’aider dans son quotidien de jeune garçon asperger. Je resterai toujours alerte, oui! Mais j’aime beaucoup l’évolution que je vois et qui me rassure sur le fait qu’il soit capable de si bien exprimer ce qu’il ressent et ce qu’il vit. Ce que tu avais tant de difficulté à faire.

Charles, pour sa part, a bel et bien reçu ce printemps un diagnostic de TDAH. Avec un I aussi, pour l’impulsivité. Cette même impulsivité qui t’agaçait tant. Tu l’aimais, ton neveu, je le sais. Mais il t’était difficile de supporter cette opposition et cette vivacité excessive, trop imprévisible et exténuante pour toi. Elle l’était (et l’est encore) pour moi, je peux donc comprendre qu’elle l’était pour toi… En complément de toute la psychoéducation que l’on avait déjà mise en place depuis un moment, la médication aide beaucoup à ce qu’il contrôle mieux cette impulsivité. C’est le même petit Charles vif et coquin, allumé, joueur de tours et comédien. Mais il sait maintenant mieux se retenir. En fait, la molécule de la médication vient jouer le rôle de lunettes pour son cerveau. On lui a lu un livre sur le TDAH, il comprend bien ce qu’il a, il se retrouve beaucoup dans ce qu’il a lu dans ce livre. Et ça, c’est un plus. Car sans que le TDAH ne le définisse, il sait que ça fait partie de lui. On travaille aussi sur son anxiété, qui vient trop souvent en complément au TDAH. Il progresse, lui aussi. Un exemple? Au soccer, cette saison, il participe merveilleusement bien par rapport à l’an dernier, alors que l’impulsivité prenait le dessus sur le terrain. Il suit les règles et aide son équipe, tout comme il m’aide de plus en plus à la maison. Je me dis souvent que tu aurais maintenant beaucoup plus de plaisir à le côtoyer. Et j’aurais aimé que ce soit cette image de ton neveu que tu emportes avec toi. Mais je peux seulement me dire que tu le vois, de là où tu es. En me rappelant que tu l’aimais beaucoup, malgré tout, ce petit neveu.

Quant à ta nièce, c’est un merveilleux petit rayon de soleil, d’une beauté à couper le souffle. Coquine et déterminée, elle sait ce qu’elle veut et aime jouer des tours, tout comme son cousin Charles. D’ailleurs, ces deux-là partagent beaucoup de traits de caractère, s’entendent à merveille et développent une superbe complicité. Avec Antoine, c’est plus dans la douceur que se vit sa relation avec sa cousine. Toute aussi vive et enjouée que ses cousins, elle a cependant plus de facilité qu’eux à respecter les consignes. Tu adorerais la voir grandir. C’est un réel plaisir de la voir évoluer. Elle grandit entourée d’amour et ça se ressent. Et de sa maman, tu serais fier de l’aboutissement de tout un accomplissement : elle a obtenu ce printemps son diplôme de pharmacienne. Après toutes ces années d’études dans un autre domaine et un courageux changement de cap qui allait prolonger de quatre ans son passage sur les bancs universitaires, elle a réussi avec brio ce défi et cela, tout en vivant une grossesse et la maternité qui s’ensuit. Oui, tu serais très fier de ta sœur. Comme nous le sommes tous et avec raison.

Pour ma part, j’ai maintenant un nouvel amoureux. Un homme attentionné, généreux, sensible, dynamique et avec qui je partage beaucoup d’intérêts communs. Compréhensif aussi, ce qui n’est pas à négliger avec ma réalité familiale hors-norme. Nous vivons un amour serein, comme celui que dégageait ta relation avec Mary-Alice, malgré les épreuves que la vie avait mises sur votre chemin. J’étais enfin heureuse et bien avec moi-même avant de le rencontrer, la même chose de son côté. On ne cherchait pas et nous nous sommes trouvés. Simple et facile comme cela. Des fois, c’est possible et ça nous est arrivé. Tu l’aurais apprécié, toi qui avais des intérêts variés, tout comme lui. Tu aurais pu jaser sciences et astronomie avec lui. Bon, il aurait fallu t’habituer à son sens de l’humour très second degré, mais pour le reste, ça aurait cliqué facilement, j’en suis certaine. Et surtout, tu aurais vu que je suis heureuse avec lui. D’un bonheur sincère et authentique. Et cela, je sais que ça t’aurait fait plaisir. Et aussi, je sais que tu serais fier des accomplissements réalisés avec la Coalition de parents d’enfants à besoins particuliers cet hiver et ce printemps. Avec des collègues, nous avons présenté un mémoire en commission parlementaire, j’ai participé à une plénière dans le cadre d’un colloque sur l’éducation et tout bientôt, deux de mes collègues et moi-même irons rencontrer le ministre de l’éducation pour lui présenter nos constats et nos recommandations en ce qui à trait à la scolarisation des enfants à besoins particuliers. Je n’aurais pas pensé tout cela possible au début de l’hiver. Et pourtant, ce l’est. Dans ma lettre en février dernier, je te le disais que j’allais continuer le combat au nom de tous ces enfants qui méritent qu’on les respecte. Je tiens mes promesses.

Enfin, mon grand frère, je te demande d’apporter le soutien et la sérénité nécessaires à papa, maman et ta tendre Mary-Alice afin qu’ils passent au-travers de cette épreuve. Le temps n’arrange que très lentement les choses. Ils ont besoin de te sentir bien, là où tu es, pour pouvoir avancer et s’apaiser. Encore plus que tous les autres. Et je te le répéterai souvent, ce souhait. Ce soir, c’est les larmes aux yeux que je te le demande en écrivant ce texte. Veille sur nous, cher grand frère. Au fil du temps, la douleur s’estompera, mais pas les souvenirs. On t’aime, tellement fort. Bonne fête Érik, de nous tous. xxx

PS : Antoine vit beaucoup d’anxiété en cette fin d’année scolaire. Ce soir, c’est un livre de sciences qui a calmé une crise. Tu aurais aimé le voir s’apaiser au contact des pages, sur un sujet qui te passionnait. Et à mes yeux, tu es présent chaque jour au-travers d’Antoine : vous étiez si semblables, lui et toi.

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Maman de deux petits trésors de sept et neuf ans, deux garçons merveilleux qui ont chamboulé sa vision de la vie (pour le mieux). D'une conception idéalisée de la maternité, elle est passée à la maman conscientisée qui souhaite faire une différence dans la compréhension des troubles invisibles. Deux maternités qui l'ont en effet projetée dans l'univers parallèle de l'autisme (de haut niveau). Et du trouble d'opposition. Et du trouble anxieux. Et du trouble de modulation sensorielle. Et du... bref, vous voyez le portrait! Depuis quelques années, elle s'implique activement sur les forums de parents d'enfants autistes afin de partager son expérience de maman d'une famille hors-norme, bénéficier de l'expérience des autres et participer au mouvement qui tente de changer la perception de l'autisme et autres diagnostics. Elle a vite constaté que les mots peuvent faire une différence et c'est pourquoi elle a accepté sans aucune hésitation l'invitation à participer à ce blogue. Elle partagera ici sans pudeur des tranches de son quotidien, inspirée par ses deux petits joyeux lurons.