À travers…

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À l’aube de ses deux ans, fiston était déjà suivi en orthophonie pour une « dyspraxie bucco-faciale » et une « dyspraxie verbale ». À peine âgé de 3 ans, il fréquentait régulièrement le CRDP et recevait les services d’une équipe multidisciplinaire. Pour ses 5 ans, alors que ses difficultés ne semblaient plus relever uniquement du domaine langagier, un psychologue s’ajoutait au dossier et déterminait que fiston, sans être TSA, présentait des « traits autistiques ». Peu après ses 6 ans, l’équipe de pédopsychiatrie se greffait aux autres intervenants et complétait le portrait de fiston avec des diagnostiques de « trouble anxieux généralisé », de « psychorigidité » ainsi que de « trouble de modulation sensorielle ». À 7 ans, fiston avait six diagnostics. Il avait un quotidien totalement atypique de celui qu’un petit bonhomme de son âge devait avoir. Les rendez-vous avec la pédiatre, la travailleuse sociale, l’éducatrice spécialisée, les orthophonistes, la psychoéducatrice, le neuropsychologue, les ergothérapeutes, les psychologues et le pédopsychiatre dictaient son horaire, mais bien aussi celui de tous et chacun des membres de la famille. De plus, cet horaire déjà chargé se voyait régulièrement pimenté de rendez-vous en gastro-entérologie (retard de vidange gastrique et reflux) et en oto-rhino-larynghologie (fiston ayant à ce jour souffert de 69 otites et subit sept myringotomies).

À travers cela, le quotidien. La vie ne s’arrêtait pas pour autant.

À travers cela, le travail. Question de se sentir utile en quelque part, question de se changer les idées, question de faire ce que l’on aime. Question d’être en mesure de payer ce que le système public n’offre pas pour une durée efficace ou dans des délais raisonnables.

À travers cela, les besoins et attentes du système, de mon employeur et de mes collègues, de mes élèves et de leurs parents. À travers cela, les besoins et attentes de grand fils, de fiston, de fillette, du reste de la famille et des amis. À travers cela, les besoins et attentes du couple (euh… Vraiment? Il existe encore celui-là dans toute cette saga?). À travers cela, ses propres besoins et attentes. Et ceux de la vie.

À travers cela, les limites de chacun. Les limites de la vie.

À travers cela, l’espoir. L’espoir que la vie prenne un jour une tangente normale, que fiston continue de défier tous les pronostics, que fiston ne tombe pas en rupture de fonctionnement, que grand fils déploie ses ailes et sa joie de vivre, que fillette garde l’émerveillement et l’énergie qui la caractérisent, que personne ne se sente délaissé ou lésé, que mes trois enfants s’épanouissent et se développent à leur plein potentiel, que mon couple reste soudé, que j’apporte à mes élèves tout ce dont ils ont besoin, que l’entourage comprenne, que le système supporte, que la famille s’en sorte indemne, que rien ni personne ne flanche.

À travers cela, le jugement, l’incompréhension, la pression, l’inquiétude. La fatigue, la solitude. Les craintes, les soucis.

À travers cela, les batailles. Avec fiston, avec le système, avec soi-même, avec la vie.

À travers cela, le besoin d’en parler. Pas pour se plaindre, pas pour se comparer, pas par besoin de reconnaissance, pas pour se faire conseiller, même pas pour se faire écouter. Juste pour se libérer du poids que cela représente. Parce qu’en en parlant, c’est un peu comme si on s’en détachait un peu. C’est un peu comme si à force d’en parler, on allait finir par dire quelque chose qui donnerait un sens à tout cela. C’est un peu comme si en donnant de notre réalité, on en partageait l’unicité. C’est un peu comme si on espérait finir par dire quelque chose, sans y penser, qui nous orienterait vers de nouvelles solutions. De toute façon, tout ce qui est dit, fait et vécu dans la famille est tellement en lien avec la condition de fiston qu’on finit par se sentir déconnecté de la réalité commune. On finit par se sentir ignare et incompétent dans les autres domaines parce qu’on ne vit qu’en fonction de notre réalité à nous. On finit par se sentir inapte et inadéquat lors de discussions et d’interactions car le quotidien est biaisé par notre vécu parallèle de la vie de tous. À travers cela, le besoin d’en parler parce que c’est la seule chose que l’on connait, la seule chose dans laquelle on se sent compétent et reconnu.

À travers cela, on devient lourd, on le sait, on le sent. Mais on ne sait plus quoi dire, comment dire, quoi faire, comment faire. Pour porter notre réalité sans plier, pour tout mener de front. Pour faire comprendre, pour faire ouvrir les yeux et l’esprit. Pour interagir, partager et sensibiliser, mais bien aussi pour se libérer sans en donner le poids.

À travers cela, la santé qui flanche. Le corps seulement, la tête sachant qu’elle se doit de rester droite.

À travers cela, les fossés qui se creusent. Les amitiés qui s’estompent, les sujets de conversations tarissant et les aménagements nécessaires enlevant toute spontanéité. La confiance qui s’éteint, les absences nombreuses laissant des traces. La reconnaissance qui s’amoindrit, les gens concernés croyant nos interventions et notre vision des choses biaisées par notre réalité.

À travers cela, les joies. Les petites réussites, les plus grosses aussi. La volonté, la détermination. Les alliés insoupçonnés, les batailles gagnées. Les petits bonheurs du quotidien. Les sourires apaisés, les rires éclatés. Les fiertés qui ne cessent de se succéder. Les moments uniques, la complicité magique. La confiance en eux, en nous.

À travers cela la vie, notre vie. À travers cela la famille, notre famille. Marginale par la force des choses, mais unie. Forte de par sa fragilité, aimante de par ses liens solides et uniques. Précieuse.

À travers cela les écrits. Des paroles de moins à prononcer, un poids de moins à faire porter.

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Enseignante en adaptation scolaire au secondaire, sur la Rive-Nord de Montréal. Mariée depuis 4 ans à mon complice des 16 dernières années, je suis la maman de trois merveilleux anges cornus. Passionnée par mon métier et ma famille, je cherche à conjuguer le tout sans y laisser ma peau, tout en tentant de favoriser l'épanouissement de mon enfant à besoins particuliers... sans négliger qui ou quoi que ce soit au passage!