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Des textes, j’en ai quelques-uns déjà en banque, écrits à la mine dans mon carnet, pas encore mis au propre sur mon portable parce que  je n’ai pas beaucoup arrêté pour m’asseoir et taper depuis quelques semaines entre un retour au travail, des rénos, la famille, la fatigue, la gestion d’une fugue (ben oui…). Et il faut dire que celui-ci, ça fait quelques jours que je le rumine, que les mots tournent en rond dans ma tête (c’est peut-être ça mes étourdissements aujourd’hui!), que j’essaie d’aligner mes pensées et de rendre tout ça cohérent. En fait, je pense que c’est depuis l’annonce du plan d’action pour l’autisme. Mais cette, semaine, la coupe déborde. Madame Charlebois, Madame la Ministre, vous êtes la goutte de trop dans un vase déjà trop plein avec votre déclaration sur les ressources disponibles au Québec.

Parce que ces ressources, ou plutôt ce manque de ressources, j’y suis confrontée depuis déjà un bon moment.  Je suis de ces mamans peut-être trop allumée. Vous savez, celles qui regardent grandir leur enfant avec un sourire attendrit, tout en ayant un point d’interrogation grandissant au fond du regard.  Fiston a parlé tôt, s’est tenu assis bien solide assez rapidement aussi, a fait preuve de paresse pour se retourner, mais il a rampé et marché dans la norme. Mais le fameux terrible two n’a jamais semblé trouver de fin. Et il ne dormait pas ou si peu. Alors j’ai commencé à frapper aux portes. Pendant que j’y pense, c’est peut-être de là que me viennent ces douleurs que je ressens depuis un moment. À force de frapper contre des portes closes… et ça, c’était en 2010. Fiston avait environ 3 ans. Le premier diagnostic sera venu deux ans plus tard parce que  j’ai finalement baissé les bras au public et suis allée voir au privé : TDAH avec impulsivité de type mixte. Mais déjà je voyais plus. Et la ronde des portes battantes a repris.

« Des ressources au Québec, on en a! », vous êtes-vous exclamé suite à la diffusion de la série 13 Reasons Why… Ah, oui… Parmi la communauté des parents comme moi, on les nomme listes d’attente, épuisement parental et spécialistes au privé (endettement). Chaque jour où je visite, sur  les réseaux sociaux, les pages d’entraide où je suis inscrite, voilà ce que j’y trouve :

  • des parents épuisés, tristes, qui cherchent encore le rayon de soleil parmi les nuages…
  • des parents apeurés, effrayés par les propos de leurs enfants, qui ne dorment que d’une oreille et d’un œil au cas où…
  • des parents endettés, qui doivent souvent s’absenter du travail, multiplier les déplacements, les places de stationnement payant, les frais de spécialistes, de médications…
  • des enfants découragés qui crient à l’aide, qui voient leurs parents s’épuiser à foncer dans des portes barricadées…
  • et tellement plus…

Madame la Ministre, quand avez-vous pris le temps de vous asseoir sans cérémonie ou caméra à une table autour de laquelle se trouvent des parents, des enfants et des adultes avec des diagnostics divers et pris le temps d’écouter leurs histoires, de voir dans leurs yeux la lueur du désespoir? Avez-vous déjà pensé qu’avec ces millions dépensés pour imprimer du papier, des gens auraient pu être engagés pour rencontrer ces familles et leur offrir l’aide et le soutien nécessaire?

Car voilà une des problématiques fondamentales du gouvernement (gouverne-et-ment…tsé), on investit en paperasse inutile plutôt qu’en ressources tangibles. On paie des gens pour rédiger des plans d’actions plutôt que de mettre des gens sur le terrain. Des gens formés non pas pour une seule problématique, mais ayant un bagage qui leur permet d’être à l’écoute de ceux qui se trouveront assis devant eux. On imprime des papiers au lieu d’offrir des formations au personnel en place visant une mise à jour, si nécessaire, de leurs connaissances. Et je ne parle pas ici que du Ministère de Madame Charlebois, mais de l’ensemble des ministères qui touchent de près ou de loin les gens, les enfants, les parents, les ainés, les familles. Le peuple. Ce peuple qui vous a élu au parlement (parle-et-ment… j’peux pas m’empêcher).

On engage des fonctionnaires! Des pousse-crayons, des gratte-papier qui de leur bureau avec un salaire garanti ouvrent une enveloppe et en transfèrent le contenu à une autre personne qui le lira avant de transférer… C’est du moins ainsi que je le conçois avec le vécu que j’en ai. On ne cesse de parler d’austérité, de coupures, mais où est l’austérité chez les politiciens qui reçoivent encore des primes de départ, malgré qu’ils quittent avant la fin d’un mandat? Où sont les coupures quand j’entends que le gouvernement a voté pour des augmentations de salaires de ces députés et ministres?

Blasée? Désabusée? Peut-être. Probablement en fait. Je lis, côtoie, connais tant de parents qui sont au désespoir de voir la lueur d’une aide s’offrir à eux alors qu’ils croient au potentiel de leurs enfants et veulent croire que notre société leur offrira une place, la place qui leur est due.  Des parents qui s’épuisent physiquement et mentalement à grimper des montagnes, escalader des clôtures, repousser des limites, soutenir le poids d’un désespoir qu’il voit croître dans le regard de leurs enfants grandissants.

Madame Charlebois, je vous invite, vous et vos collègues les ministres Barrette et Proulx à venir vous asseoir avec moi et d’autres parents. Sans caméras, sans journalistes. Venez, et assoyez-vous avec nous. Écoutez nos parcours dans vos divers systèmes. Entendez la lourdeur du poids que nous portons. Voyez l’épuisement, la peine, la douleur qui nous habitent malgré la façade de sourires.  Sortez de votre bulle. Quittez votre nuage de chiffres magiques et gonflés. Enlevez vos lunettes roses. Oubliez le pays des licornes aux pets à senteur d’arc-en-ciel. La réalité est tout autre. La réalité c’est que vous et votre gouvernement êtes en train d’épuiser une autre génération de parents, de laisser tomber une autre génération d’enfants, en gardant la tête enfoncée dans le sable de l’illusion des tromperies, du bien-paraître, du faux-semblant. Si vous le voulez, je peux vous organiser ça moi, une telle rencontre sans prétention. Je crois connaitre suffisamment de parents qui correspondent à ce que je viens de vous décrire pour remplir le café de mon patelin, et même plus.  Arrêtez de vous cacher derrière des attachés de presse et redescendez au niveau de cette population qui vote aux 4-5 ans… Peut-être auriez-vous, comme nous, le sommeil moins facile, l’espoir diminué en entendant le parcours de chacun de nous, même si ce n’était qu’une dizaine, une douzaine, car nous représentons non seulement une majorité, mais une quasi-totalité de cette population de parents qui doivent se lever et être prêt au combat chaque jour, ne sachant jamais de quel côté viendra l’attaque.

Des nuages roses et des licornes, nous n’en voyons pas. Nos nuages sont sombres et orageux et les licornes sont plutôt remplacées par des minotaures… Il ne pleut pas des arcs-en-ciel ou des pétales de fleurs sur nos journées, mais plutôt des factures, des dettes et un questionnement incessant pour l’avenir de nos enfants. Un avenir bien incertain quand on connait et vit les combats du quotidien, le manque de ressources dans les écoles, les soins de santé, les soins de réadaptation ou de stimulation.

Alors, Madame la Ministre, entendrez-vous cet appel?  Transmettrez-vous cette invitation? Y répondrez-vous vous-même? Lequel parmi tous ces députés élus, tous partis confondus, prendra le temps de nous tendre la main, de venir s’asseoir sans réponses préparées d’avance pour écouter nos histoires, nos vécus? Pour mettre des visages sur cette réalité que vous semblez vouloir balayer et discrètement camoufler sous le tapis de promesses qui sonnent bien creuses…

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Éducatrice à la petite enfance depuis une vingtaine d’année, adepte de l’entrainement en force pour ne pas perdre complètement la tête, Nancy Ringuet, très possiblement TDAH, est maman de deux garçons à diagnostics : un grand TDA sévère et un plus jeune SGT, TDAH impulsivité mixte et TOP. C’est un long combat qui aura mené aux diagnostics du plus jeune, et un long combat qui s’engage pour faire reconnaître ses besoins. Passionnée de recherches et assoiffée d’en apprendre plus, elle fouille le net sous toutes ses coutures. Elle partagera ici des textes et réflexions sur ce vécu différent de mère chef de famille, avec un conjoint dont le travail l’amène à être absent.