Quand la neutralité ne peut tout excuser

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L’Institut des troubles d’apprentissage tenait, du 6 au 8 avril dernier, son 41e congrès annuel. Un événement important et attendu, permettant un partage des connaissances pouvant aider concrètement ceux et celles vivant avec un trouble d’apprentissage. L’Institut étant un organisme de référence dans le domaine, crédible et important.

Or, quelle ne fut pas ma surprise, et celle d’autres parents, de voir qu’une des conférenciers invités était Mme Catherine Dolto, médecin pédiatre d’origine française, haptothérapeute, et écrivain spécialisée dans les livres sur la santé des enfants. Le point étant ici que Mme Dolto est d’obédience psychanalyste et venait faire la promotion de son dernier livre sur l’haptonomie. Définition Wikipédia de cette pratique : « L’haptonomie est le nom que l’on donne parfois à l’étude de l’affectivité. Ce terme embrasse un grand nombre de pratiques hétérogènes, et n’a pas de statut institutionnel défini au sein des pratiques médicales et paramédicales. Le concept a été créé par le psychothérapeute Frans Veldman après la Seconde Guerre mondiale : il l’a originellement défini comme un ensemble de pratiques cherchant à intensifier les bienfaits de l’accompagnement thérapeutique par une attention particulière accordée à la relation, dans laquelle le toucher, notamment, prend une place particulière. Son champ d’application principal concerne son utilisation comme soin psychologique durant la maternité, de la grossesse aux soins du petit enfant en passant par les soins obstétriques. Néanmoins, en ce qui concerne ce domaine, son efficacité n’est pas démontrée. »

Que Mme Dolto vienne parler du concept de l’importance du lien affectif entre un parent et son enfant pour son développement, aucun problème avec ça. Le problème se situe plutôt dans le fait que Mme Dolto soutient que le développement de certains troubles, dont les troubles d’apprentissage, pourraient être évités au stade foetal par la pratique de l’haptonomie. Et c’est ce dont elle venait faire état au congrès de l’Institut. Un discours régressif, d’origine psychanalytique, qui nous ramène des années en arrière en culpabilisant, encore une fois, les parents et plus particulièrement les mères, alors que les connaissances sur ces troubles ont grandement évolué depuis. Et tandis que l’on connaît maintenant l’origine neurologique de ces troubles, qui se décident de façon génétique pour la plupart, et que le fœtus porte déjà en lui longtemps avant que sa mère ne lui donne naissance.

Je choisis mes batailles dans la vie et loin de moi l’idée de dénoncer la présence de conférencier au discours douteux dans chaque événement concernant les besoins particuliers. Mais dans le cadre du congrès d’un organisme de l’importance de l’Institut, cela me questionnait beaucoup. J’ai donc publié ce commentaire dans un statut Facebook sur la page de l’Institut et qui annonçait la présence de Mme Dolto au congrès : « Une question : soutenez-vous ses propos à caractère psychanalytique concernant le développement des troubles d’apprentissage au stade de développement foetal? Si oui, je vous l’avoue, cela m’inquiète grandement de la part d’une instance comme l’Institut surtout dans un contexte où la France fait piètre figure dans l’avancée de la compréhension des TA, dys, TSA et autres conditions neurologiques, justement à cause de l’héritage de la pensée psychanalytique à ce sujet. Dire que l’enfant a besoin de l’amour parental pour bien se développer, aucun problème avec ça. Mais relier les problèmes neurologiques à une carence affective ou parentale, c’est nous ramener des dizaines d’années en arrière alors que la connaissance de ces conditions a tellement évolué depuis. La France dénonce de plus en plus elle-même ce discours… Je me répète, mais cela m’inquiète de votre part si vous soutenez ce discours. » D’autres ont aussi commenté dans le même sens. Tous des commentaires rédigés de façon respectueuse et n’enfreignant aucun code d’éthique des médias sociaux, rien de haineux ici. La réaction de la personne qui gérait la page Facebook de l’Institut : elle a supprimé tous les commentaires et bloqué certains utilisateurs de leur page, dont moi-même. Tout en laissant le commentaire du libraire faisant la promotion de la vente du livre de Mme Dolto lors du congrès. Ce n’était pas parce que blessée dans mon orgueil que je me suis dit qu’il fallait dénoncer, non. C’était parce que tout cela me laissait un goût amer sur leur façon de gérer le tout, que je considérais comme très irresponsable et questionnable, éthiquement parlant. Si seulement l’Institut avait pris le temps de répondre aux commentaires, c’est tout ce que nous leur demandions en fait. Mais il n’y a eu qu’une seule réponse, le lendemain, alors que des personnes, choquées de la suppression des dits commentaires, ont été les recopier en demandant à l’Institut pourquoi ils avaient été supprimés. Et l’unique réponse de l’Institut tournait autour du fait que l’organisme demeurait neutre face aux conférenciers et ne prenait pas position, que le congrès est une plateforme de transfert de connaissances et que nous avions le droit de ne pas être en accord avec le propos de certains conférenciers. Soit. Mais une réponse qui me laisse drôlement sur ma faim. Pourquoi ? Parce que lors d’un congrès de l’importance de celui de l’Institut, il y a nécessité de s’assurer au préalable de la base scientifique des connaissances qui y seront transmises. Mais surtout, il y a un devoir de rigueur. On ne peut tout justifier sur le principe de la neutralité, c’est trop facile. Un principe qui me semble de plus en plus galvaudé, comme celui de la liberté d’expression (ironiquement, un animateur de radio-poubelle a utilisé la même tactique en me bloquant de sa page publique, il y a quelques années, alors que j’avais simplement écrit qu’il donnait dans la démagogie). Non, on ne peut pas tout laisser passer au nom de la neutralité. Encore moins dans un rassemblement de cette importance pour la communauté des personnes vivant avec un trouble d’apprentissage.

Et force est de constater qu’il y a souvent un intérêt pécunier en jeu quand on donne la parole à un conférencier qui tient un discours qui est loin de faire l’unanimité, soit bien souvent la vente d’un livre. Et on le sait, le marché de la différence semble très lucratif à ce niveau, depuis quelques années. Je m’avance sur un terrain très délicat, je le sais. Mais j’écris noir sur blanc ce que plusieurs pensent tout bas. Pourtant, il y a des dizaines de publications fort pertinentes qui paraissent chaque année. Et dans ce cas, la présence des auteurs de ces ouvrages dans un congrès ou colloque ne cause jamais de malaise. Justement vu la qualité et les bases solides de leurs ouvrages. Mais la psychanalyse…

Nous avons été une dizaine de parents à décider d’écrire à l’Institut pour avoir un éclairage sur cette question. Nous espérons avoir une réponse à notre missive. D’ici là, continuons à nous renseigner auprès des sources fiables, n’ayons pas peur de vérifier si nous avons des doutes et ne soyons pas dupes face à un certain marketing de la différence. Surtout, n’ayons pas peur de dénoncer les situations douteuses, c’est la seule façon de mettre un frein à une tendance malheureuse.

Voici copie de la lettre transmise à l’Institut des troubles d’apprentissage :

Le 10 avril 2016

Objet : Présence de Mme Dolto au 41e congrès de l’Institut des troubles d’apprentissage

Madame Doiron et Messieurs Aublet et Desrochers,

Nous sommes plusieurs parents, pour la plupart d’enfants à besoins particuliers, à avoir été stupéfaits de voir que cette semaine, lors de votre congrès, vous aviez invité Mme Catherine Dolto comme conférencière. Elle est venue faire la promotion de son livre portant sur l’haptonomie qui est un toucher affectif sensé favoriser le développement des futurs enfants. Mme Dolto, on le sait, est d’obédience psychanalytique, ce qui rend sa démarche beaucoup moins crédible à nos yeux parce que la psychanalyse qui culpabilise les parents, en particulier les mères, ne donne aucun résultat. En France, on se bat depuis des années contre les prises en charge psychanalytiques des enfants différents puisqu’ayant des résultats catastrophiques.

Il est étonnant de voir qu’au Québec ce genre de discours ait un certain écho notamment avec le livre de Claude St-Onge sur le TDAH. Et maintenant, l’Institut des troubles d’apprentissage s’en mêle en accordant une vitrine fort questionnable à Mme Dolto. Questionnable, considérant que l’haptonomie ne repose sur aucune base scientifique solide et se veut surtout un moyen d’établir une relation affective entre les parents et l’enfant, ce qui n’a rien à voir avec les troubles d’apprentissage. Nous vous rappelons que le congrès de l’Institut se veut « (…) le lieu de rencontre par excellence de praticiens et de chercheurs qui veulent croiser leurs regards dans le but de mieux comprendre et d’accompagner de façon éclairée les apprenants, en particulier ceux qui vivent des difficultés ou des troubles d’apprentissage. » [1] La psychanalyse n’ayant rien d’éclairant, elle n’a pas sa place dans un congrès de cette importance.

Mais ce qui est encore plus questionnable, c’est la gestion des commentaires à ce propos sur la page Facebook de l’Institut. Un article y est paru sur l’haptonomie puis retiré rapidement suite à la critique d’un parent. Mais plus grave encore, c’est que plutôt que de répondre à des commentaires respectueusement formulés, mais demandant à l’Institut si elle soutenait le discours de Mme Dolto, vous les ayez supprimés sans y répondre et que vous ayez bloqué ces utilisateurs. Surpris de cette gestion douteuse des commentaires, ils ont été repris le lendemain par d’autres personnes en dénonçant qu’ils aient été supprimés. À ce moment, l’Institut a enfin répondu en se défendant du principe de neutralité et en affirmant que le congrès se veut une plateforme de transfert des connaissances. Or, on ne peut tout justifier au nom de la neutralité et l’Institut, organisme de référence important au Québec pour les troubles d’apprentissage, a, à ce titre, un devoir de rigueur à propos des conférenciers invités et des discours tenus, ce qui ne semble pas le cas dans ce contexte.

Nous aimerions donc que l’Institut des troubles d’apprentissage prenne position claire sur ce sujet et reconnaisse sa gestion douteuse de la question sur sa page Facebook. Et qu’elle débloque les utilisateurs concernés puisque rien ne justifie de les avoir bloqués en premier lieu.

Dans l’attente d’une réponse de votre part, recevez, Madame Doiron et Messieurs Aublet et Desochers, nos salutations distinguées.

Isabelle Douletroux, Brigitte Dubé, Lucilla E. Guerrero, Gaston Côté, Marie-Josée Aubin, Marie-Claude Berger, Nathalie Laurencelle, Elizabeth Parent, Véronique Turgeon, Marie-Pier Dubé, Lucie Racine, Suzanne Picard, Annick Frégeau, Patrice Bourassa, Nadia Lévesque, Robert Clermont, Stéphanie de Courval, Geneviève Lapointe, Frédéric Meunier, Marc Rancourt, Rachel Tremblay, Véronique Poulin, Manon Lacharité, Julie Brunet.

[1]    Source : site Internet de l’Institut des troubles d’apprentisage

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Maman de deux petits trésors de sept et neuf ans, deux garçons merveilleux qui ont chamboulé sa vision de la vie (pour le mieux). D'une conception idéalisée de la maternité, elle est passée à la maman conscientisée qui souhaite faire une différence dans la compréhension des troubles invisibles. Deux maternités qui l'ont en effet projetée dans l'univers parallèle de l'autisme (de haut niveau). Et du trouble d'opposition. Et du trouble anxieux. Et du trouble de modulation sensorielle. Et du... bref, vous voyez le portrait! Depuis quelques années, elle s'implique activement sur les forums de parents d'enfants autistes afin de partager son expérience de maman d'une famille hors-norme, bénéficier de l'expérience des autres et participer au mouvement qui tente de changer la perception de l'autisme et autres diagnostics. Elle a vite constaté que les mots peuvent faire une différence et c'est pourquoi elle a accepté sans aucune hésitation l'invitation à participer à ce blogue. Elle partagera ici sans pudeur des tranches de son quotidien, inspirée par ses deux petits joyeux lurons.