Ma pire ennemie

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« Il nous faut accepter de dire au revoir à la vie que nous avions imaginée, pour laisser place à celle qui nous attend. » – E.M. Forster

Depuis deux semaines, je suis en arrêt de travail. Dépression et anxiété généralisée. Pour la quatrième fois de ma vie, je suis tombée au combat.

Une personne m’a dit récemment « que j’avais bien choisi mon moment » avec la belle température et la chaleur qui s’en viennent… C’était dit sans méchanceté, mais j’ai été tellement saisie que j’ai juste souri et j’ai détourné la conversation vers un autre sujet. De toute façon, qu’est-ce que j’aurais pu lui répondre?

Parfois, j’ai l’impression que mon entourage s’est habitué à me voir abdiquer. Qu’ils me perçoivent comme quelqu’un de faible, qui a besoin de  » vacances » pour se remettre sur pieds dès que la pression monte. « Elle va faire sa petite crise nerveuse toute seule dans son coin pendant trois-quatre semaines, pis elle va revenir souriante comme avant. » Mais ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que ce n’est pas la quantité d’épreuves qui me fait flancher, c’est plutôt d’en avoir trop, tout le temps. Et qu’à chaque fois, le chemin du retour est de plus en plus ardu.

J’ai fait ma première dépression sévère à 13 ans. Depuis, j’ai eu beau suivre des thérapies, prendre de la médication, lire une quantité astronomique d’ouvrages scientifiques, écumer les forums de discussions, échanger avec des personnes qui ont eu un vécu similaire… Je n’ai jamais réussi à trouver avec exactitude ce qui cloche avec moi. Et j’ai laissé la situation se reproduire à 19 ans, à 27 ans… et maintenant, à 32 ans. Presque 20 ans que je lutte seule contre ce monstre tapi en moi. Que je refuse qu’il prenne le contrôle de ma tête. Est-ce que c’est le comportement d’une lâche?

Je suis de celle qui croit que notre bagage génétique et nos origines ne devraient pas définir notre futur. Que rien n’est écrit et qu’il est toujours le temps de corriger le tir. Qu’avec de l’effort et de la droiture, tout le bien et les sacrifices que l’on fait nous reviennent. Pourquoi alors, malgré tous mes efforts, je n’y arrive pas? Que je fonce à chaque fois dans un mur alors que je suis à l’affût du moindre signe de rechute? J’ai du cœur au ventre, je m’efforce d’apprendre de mes erreurs, j’essaie de faire le bien et de devenir une meilleure personne… Alors quoi? Qu’est-ce qui me manque? Pourquoi je n’arrive pas à encaisser et me relever comme tout le monde?

Je me regarde aller et je ne suis pas fière de moi. À l’aube de mon 33e anniversaire, je ne suis pas celle que je voudrais être. Même si j’adore mon emploi, que j’ai eu un coup de foudre pour notre nouvelle ville, que je m’y suis même fait de bons amis, je me sens complètement perdue. Je suis submergée par tous les changements. Le monde bouge trop vite autour de moi. Je ne suis plus le rythme, je suis à bout de souffle. Je ne comprends plus mes enfants. Pendant que je gravis les échelons au travail, mon fils s’en prend physiquement à moi et je n’arrive plus à le gérer. Moi qui ai toujours été LA référence de ma petite famille au niveau de l’autisme, je me sens totalement dépassée, inutile. Mon couple part à la dérive, même si je sais que l’amour est toujours là, caché au cœur de la tempête.

Je ne suis pas non plus la mère que je voudrais être pour mes enfants. Ils ne méritent pas une mère qui a autant d’énergie qu’une plante verte. Une mère qui, si papa n’était pas là, trouverait acceptable de manger tous les soirs des bols de céréales pour souper. Une mère instable, qui hurle pour un rien alors qu’elle préfère habituellement les chuchotements aux éclats de voix. Une mère qui préfère regarder en rafale trois saisons du Chalet dans la noirceur de sa chambre plutôt que d’aller jouer au parc une journée ensoleillée. Une mère qui se sent comme la pire des égoïstes parce que pour la première fois de sa vie, elle a envie d’être seule et de penser à elle. JUSTE à elle.

Voilà, le chat est sorti du sac. À tous ceux qui pensent que je passe mon temps à dormir, à jardiner, à lire ou à faire de la photographie… et bien vous avez (en partie) raison. Et je vous assure que c’est beaucoup plus difficile à dire qu’à faire. Surtout quand notre principale qualité est de se décarcasser corps et âme pour les autres en s’oubliant au passage. Quand on a toujours recherché l’approbation sociale, mettre sa vie (et par la bande celle de son entourage) sur pause pour prendre soin de soi, ça relève du défi. Deux ans après avoir reçu le diagnostic d’autisme de mon fils, après avoir déménagé la famille à l’autre bout de la province, après avoir redéfini nos rôles parentaux et être devenue le seul revenu du foyer, je reçois à retardement toutes ces perturbations comme un coup de masse.

Depuis l’automne, le stress financier, les nuits d’insomnie, la gravité des crises de mon fils et le fossé qui s’est creusé entre mon conjoint et moi ont eu raison de ma combativité. Je ne peux plus en prendre davantage. J’ai brûlé la chandelle par les deux bouts trop longtemps et j’en paie le prix fort. Mon cerveau a aujourd’hui la consistance d’un œuf au plat baveux. Sortir du lit, m’habiller, manger, me concentrer, monopolisent pour l’instant la moindre parcelle de mon énergie. J’ai besoin de temps pour me retrouver, pour comprendre ma place dans cette nouvelle vie que je suis en train de me forger. Mais surtout, j’ai besoin de temps pour m’aimer et me faire confiance. Une fois pour toute, je briserai le lourd héritage familial de la maladie mentale. Je suis ma pire ennemie depuis trop longtemps, ça doit cesser. Maintenant.

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Sandra Chartier est un diamant brut aux mille facettes. Femme Phénix, maman équilibriste et amoureuse caméléon, le diagnostic TSA de son fils aîné a changé son regard sur le monde et l'a amenée à parcourir les chemins les moins fréquentés. Déménagement à l’autre bout de la province, changement d’emploi et nouvelle dynamique familiale, aucun obstacle n'est insurmontable quand on aspire au bonheur. Par le biais de l’écriture, elle s’est donné comme mission cette année de rejoindre, de sensibiliser et d’informer un maximum de gens sur son quotidien haut en couleur. Après une fructueuse collaboration avec le défunt A&ME webzine, elle est prête à affronter de nouveau défis avec notre équipe!