La différence selon qui?

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Quand j’étais adolescente, la mode dictait de nous habiller toutes pareilles. Je me souviens encore que mes amies portaient fièrement une veste en jeans Levi’s. Naturellement, pour faire partie de la « gang », je devais m’en procurer une identique! Un soir que j’entrais dans ma chambre après ma journée d’école, j’aperçus une veste de jeans longue, molle et qui avait ici et là des appliqués imitant une bande dessinée. En demandant à ma mère d’où sortait cette horreur, je récoltai comme réponse qu’elle trouvait triste que je veuille m’habiller comme les autres, m’expliquant l’importance de se démarquer. Qu’être toutes semblables était ennuyant. J’aurais dû la remercier car elle avait compris que j’étais une marginale .

Sauf qu’à cette époque, ma confiance en moi et les pressions de la « gang » ne me permettaient pas de l’assumer. Je me suis toujours sentie différente, mais heureusement, j’ai réussi à contourner, tant bien que mal, les obstacles pour finir par faire « comme tout le monde », enfin presque! Je n’ai donc pas trop subi le besoin d’être dans les normes, jusqu’à ce que mon fils commence la garderie, du haut de ses 4 ans .

C’est à partir de ce moment que le mot « différence  » a eu une connotation négative dans ma vie. Après s’être fait montrer la porte de deux garderies en milieu familial, qui n’avait que des doléances à me rapporter sur mon fils, j’ai enfin eu une place en CPE. Bien que mon fils fut entouré d’excellentes éducatrices, il n’arrivait pas à s’adapter. Il ne se mêlait pas avec les autres amis, était souvent méchant avec eux, piquait des crises de colère incontrôlables qui débutaient sans signes avant-coureur. Le seul moment où il semblait heureux? Lorsqu’il se réfugiait dans le bureau de la directrice. Il s’asseyait calmement devant une petite maison et se racontait des histoires avec son personnage de Spiderman qui ne le quittait jamais.

S’en suivit les demandes d’évaluations, les diagnostics infirmés et ceux confirmés. À l’école, la maternelle a été difficile, mais ayant de l’aide d’une TES pour un autre élève, c’était tolérable. Première année = catastrophe!!! « Tu es grand maintenant, tu dois faire un rang en silence, rester assis toute la journée et suivre toutes les règles » Conséquences par-dessus conséquences, rien ne venait à bout de ce petit bonhomme que je considérais comme un garçon extrêmement brillant et profondément sensible. Le fameux diagnostic de Syndrome de Gilles de la Tourette fut enfin émis en juin, après une longue attente pour voir à nouveau le pédopsychiatre. J’étais soulagée! Enfin, avec la preuve qu’il ne fait pas « exprès », l’école adapterait ses interventions et s’assouplirait pour répondre à ses besoins. « Non! Il doit faire comme les autres même s’il est différent. Le diagnostic de votre enfant ne vient pas avec une enveloppe budgétaire  » donc aucune mesure adaptative ni d’aide d’une TES. Comment pouvaient-ils évaluer les besoins de mon enfant par un budget?

Fiston a finalement changé d’école, deux fois en deux ans. Toujours en janvier! Chaque fois, le même discours : sa problématique nécessite un milieu différent. Jusqu’à maintenant, pour nous, la différence de mon fils n’était qu’un prétexte à revoir notre méthode éducative. À trouver des façons de contourner les obstacles. Il arriverait au même endroit que les autres, en prenant un chemin parallèle qui le conduirait au même résultat. L’entrée à l’école « régulière » et l’année passée en classe de troubles de comportements n’ont réussi qu’à transformer mon fils aimant en une boule de colère. À force de vouloir l’encadrer dans des balises, il a perdu ses repères, ne croyant plus en ses capacités. Comprenant que sa différence se résumerait toujours a un obstacle. Condamné à devenir celui qui dérange. La société n’aime pas la différence, elle semble se sentir menacée par elle. Pourtant, n’est-ce pas une richesse à léguer à nos enfants? Leur faire découvrir que la vie est semblable à un casse-tête composé de différentes pièces qui forment un tout une fois réunies. Chaque personne est importante par son unicité pour compléter l’image.

Dans le milieu scolaire, régit par des bureaucrates qui ne pensent qu’en chiffres, on a oublié ce que voulait vraiment dire l’éducation. L’école devrait être un lieu, où chaque enfant s’épanouit selon ses forces, pour un jour en faire profiter la société. Au lieu de ça, on mise sur la perfection, les tests qui sont les mêmes pour tous, malgré les forces et les faiblesses de chacun. Et après, on s’étonne du haut taux de décrochage!

Les gens qui nous croisent dans les centres d’achats, au restaurant, jugent notre enfant ou notre parentalité, car il ne tient pas en place ou pire fait une crise démesurée. Tous ces éléments additionnés obligent les enfants différents à ramer constamment à contre-courant pour « rentrer dans le moule ». Les parents, témoins impuissants de cette lobotomie sociétale. Les différences, qui étaient autrefois synonymes de diversité, riment maintenant avec nuisances. Mais au fait, à partir de où commence la différence et où finit-elle? Qui décide de ce qui est « normal » ou non? Pourquoi ceux qui sont différents devraient s’adapter à notre « monde »? Il serait temps que nous traversions dans le leur et que nous y puisions la pureté de l’acceptation.

Maman, si on me donnait la chance de recommencer, je la porterais fièrement ma veste, puisque je comprends maintenant que la « normalité » est dictée de l’extérieur. Le vrai courage réside en refusant les comparaisons et en étant fiers d’être uniques, donc différents.

Isabel Touzin, maman de 4 enfants dont 4 TDAH et un avec le SGT, troubles anxieux et cie. TES au secondaire auprès de jeunes différents (psychopatho et tsa).

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Je suis une maman de quatre enfants qui me rendent fière! Je suis éducatrice spécialisée et j'aime vraiment travailler avec les enfants à défis particuliers! Au quotidien, j'accompagne mon fils de 11 ans à travers sa traversée cahoteuse que lui fait subir son Syndrome de Gilles de la Tourette. Je suis une rêveuse et mon plus grand rêve est que l'école devienne un lieu où chacun peut s'épanouir selon ses capacités, ses forces et ses intérêts. L'humour est selon moi la plus belle des thérapies! Une journée sans rire est une journée perdue! Je termine sur un extrait d'un texte de Chaplin que j'aime particulièrement : "Le jour où je me suis aimé pour de vrai, j’ai pu percevoir que mon anxiété et ma souffrance émotionnelle n’étaient rien d’autre qu’un signal lorsque je vais à l’encontre de mes convictions. Aujourd’hui je sais que cela s’appelle… l’Authenticité."