Parent différent

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Ceci est la traduction d’un texte écrit en anglais par une amie américaine à moi, mère d’un adolescent autiste, Rachel Barth.

J’ai une amie qui travaille dans un salon funéraire. Elle commente souvent qu’elle ne peut pas trop parler de son emploi. Les gens sont inconfortables quand ils entendent les détails qui concernent l’embaumement et les rites funéraires. Au départ, je ne saisissais pas trop, puisque j’ai l’estomac solide et que j’aime les trucs morbides. Mais en y repensant, j’ai réalisé que je comprends très bien, puisqu’au fond, j’ai aussi ce problème.

Mon travail, c’est de prendre soin d’un enfant autiste et comme mon amie, j’ai découvert que je ne peux jamais vraiment en parler aux gens. Mais, peut-être serait-il bon d’en parler. Alors voici quelques détails de ce travail.

Mon travail est un peu celui d’un gardien de parc national qui, du haut d’une tour d’observation, cherche à l’horizon la moindre trace d’incendie. En général, c’est plutôt ennuyant, mais on ne peut quitter ce poste, ni aller où que ce soit ou faire quoi que ce soit pour se divertir. Il faut rester là et surveiller au cas où… Puis, parfois, il y a ces jours horriblement épuisants car l’incendie éclate, hors de contrôle et à ce moment, il n’y a toujours nulle part ou quoi que ce soit d’autres à faire, semble-t-il.

Au cours des 10 dernières années, le nombre d’heures passées, soit dans la salle d’attente, soit dans le bureau de thérapeutes divers ou de psychiatres, s’élève à environ 600 heures. Cela n’inclut pas les visites médicales usuelles qu’un enfant peut nécessiter. Sans parler des 125 heures pour se procurer la médication. Il aura fallu plus de 6 mois pour programmer et préparer pour mon fils, dû à la médication prise, un traitement dentaire nécessaire à l’hôpital. Durant ce laps de temps, mon fils vivait avec une douleur à la bouche à laquelle je ne pouvais remédier.

Deux cents. C’est le nombre plutôt conservateur de matins où on m’a réveillé dès 2h ou 3h au cours des deux dernières années. 3640 fois est le nombre conservateur de conversations irrémédiablement interrompues. Zéro. C’est le nombre de semaines au cours des dernières 10 années n’ayant impliqué ni cri, ni larme. Les alertes au suicide se comptent à plus de 10 au moins, au cours de ces mêmes 10 ans (pas les miennes; je suis heureuse de dire que ce nombre serait plus bas). J’ai aussi reçu la visite des policiers 2 fois et des services de protections à l’enfance une fois. Inconnu, mais élevé, serait le nombre d’amitiés rompues dû aux rigueurs de ma situation. Aussi inconnu, mais élevé, serait sans doute le nombre d’engagements sociaux envolés en fumée puisque la majorité des gens ne peuvent gérer ma réalité quotidienne.

Mon travail de mère pourrait être celui des NavySEALs de la parentalité. Comme les vrais SEALs, mon travail est incroyablement épuisant, tant au niveau physique que psychologique. Contrairement aux SEALs , ce travail n’est pas  volontaire, je ne l’ai pas choisi. C’est plutôt comme si j’avais pensé avoir trouvé un travail de toiletteuse pour animaux et que soudain, au milieu de la nuit, un sergent instructeur s’était mis à hurler dans mes oreilles :

« Debout limace! Bienvenue chez les NavySEALs! C’est le temps de faire des push ups en habit de plongée jusqu’à en perdre connaissance ou que tu te noies dans ton propre vomi! »

Et qu’à partir de cet instant et pour les 20 ans suivant, c’est mon travail. Laissez-moi vous dire une chose : si le travail de trouver Bin Laden m’avait été donné, non seulement l’aurais-je tué, mais j’aurais laissé sa cache immaculée de propreté. J’ai eu mon entraînement à dure école.

Je ne dis pas tout ceci pour avoir votre pitié. J’aimerais mieux qu’on m’accorde ce qu’on accorde aux NavySEALs : le respect. Tout le monde comprend que ceux qui n’ont jamais fait leur travail ne peuvent savoir ou comprendre la vie d’un SEAL. Mon travail comme parent différent dépasse votre entendement et les mots me manquent pour vous transmettre mon vécu. J’aimerais simplement vous faire comprendre que d’ici le jour où on vous aura réveillé 200 fois à 2h du matin, vous n’avez pas les qualifications requises pour porter un jugement sur mon travail, sur mes capacités parentales.

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Éducatrice à la petite enfance depuis une vingtaine d’année, adepte de l’entrainement en force pour ne pas perdre complètement la tête, Nancy Ringuet, très possiblement TDAH, est maman de deux garçons à diagnostics : un grand TDA sévère et un plus jeune SGT, TDAH impulsivité mixte et TOP. C’est un long combat qui aura mené aux diagnostics du plus jeune, et un long combat qui s’engage pour faire reconnaître ses besoins. Passionnée de recherches et assoiffée d’en apprendre plus, elle fouille le net sous toutes ses coutures. Elle partagera ici des textes et réflexions sur ce vécu différent de mère chef de famille, avec un conjoint dont le travail l’amène à être absent.