Un système de santé malade et défaillant

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Jeudi 22 septembre 2016. Après une rentrée scolaire difficile et un début de semaine mouvementé, je pars au travail en te laissant avec ton accompagnateur qui s’assurera que tu prendras ton transport adapté. Une heure plus tard, je reçois un texto m’assurant que tu es bien embarqué. Il ne me reste plus qu’à espérer que tu passes une bonne journée.

Déjà, depuis le début de l’année, tu t’es sauvé de l’école à quatre reprises, la dernière fois, il y a à peine deux jours. À chaque fois, la police a dû être avisée. À chaque fois, tu mets ta vie en danger.

Il y a toujours une raison qui se cache derrière ton impulsivité. La dernière fois, tu t’es rendu à ton ancienne école pour revoir ton éducatrice de l’an passé. Tu m’as dit à ton retour, que tu t’ennuyais d’elle, que tu voulais y retourner. Que tu étais en 5e année, pas au secondaire!

Hier, les intervenants du SRSOR et du CLSC, l’équipe-école et moi, on s’est rencontrés pour discuter, afin de trouver la meilleure solution pour assurer ta propre sécurité. Mais on a beau mettre en place tous les moyens nécessaires, on ne peut agir à ta place. Tu as, toi aussi, ta part de responsabilité.

Ce que tu ne sembles pourtant pas comprendre, car malgré toutes nos interventions, malgré toutes nos précautions, tu parviens à te faufiler et à nous échapper. Mais voilà qu’aujourd’hui, c’était la fois de trop. Voilà qu’aujourd’hui, même la police n’osait pas te laisser aller une fois retrouvé. Voilà qu’aujourd’hui, l’école a dû faire appel à l’ambulance pour t’amener à l’urgence, où tu as été placé sous observation en garde préventive. C’est à ce moment que tout a basculé et que j’ai pu constater toutes les défaillances du système de santé.

Après avoir attendu près de deux heures avant d’être transféré en psychiatrie, ils t’ont placé sous observation, dans un local fermé, avec des adultes!!! Tu t’es endormi une partie du temps, puis, trois heures plus tard, le psychiatre est venu te voir. Tout ce qu’il a mentionné c’est : « Mais qu’est-ce qu’on attend pour l’interner! » Sur ces mots, il t’a placé en garde à vue pour la nuit, jusqu’à la prise en charge de la DPJ. Je ne comprenais pas trop ce qui venait de se passer, tout ce que je voulais, c’était de te ramener.

Entre-temps, le local se replissait d’adultes plus démunis les uns que les autres. Des adultes vivant avec des troubles beaucoup plus lourds que les tiens, des adultes qui souffrent d’un mal de vivre qui n’est pas le tien. Tu avais peur pour l’une d’entre eux qui, comme toi, vivait avec un TSA.

C’est alors que tu as été témoin d’une scène qu’aucun enfant ne devrait voir ni entendre. J’étais dans une pièce à part, au fond du local, avec toi. Je tentais tant bien que mal de te cacher cette vision. Tu entendais ta « nouvelle amie » crier. Tu t’inquiétais pour elle et me répétait sans cesse : « Maman, le monsieur est méchant! Il lui fait du mal, il faut l’empêcher… » Tu as même tenté de t’en mêler. Et quand j’ai voulu te faire sortir de ce local pour t’épargner, on m’a jetée dehors, te laissant seul à ton sort! J’étais en colère et bouleversée, et toi, complètement traumatisé! Je ne cessais de répéter de te sortir de là, que tu n’avais pas à vivre ça! Que tu étais autiste et que tu ne comprenais pas…

J’ai rejoint la DPJ et expliqué la situation. Qu’il n’était pas question que je te laisse dans ce local pour la nuit, qu’il fallait trouver une autre solution. Que je ne comprenais pas pourquoi tu ne pouvais pas revenir à la maison. Je l’ai avertie que j’allais partir avec toi, contre leur gré. Elle m’a répondu qu’elle ne pouvait pas m’accorder ton congé, mais qu’elle leur demanderait de nous laisser passer. Rien à faire, l’hôpital a même appelé la police pour s’assurer que je ne m’enfuis pas avec toi! Le dernier mot revenait à ce psychiatre qui avait pris cette décision à la hâte et s’en lavait les mains! Même les policiers n’y pouvaient rien! Malgré qu’ils comprenaient très bien que je veuille te ramener.

J’ai finalement dû capituler. À la demande de la DPJ, ils nous ont transférés dans un autre local vitré où nos moindres mouvements étaient surveillés. Tu as au moins eu droit à ton iPad, ce qui t’a calmé. Une amie est venue me rejoindre pour le reste de la soirée, ce qui m’a rassurée.

Après une courte nuit qui m’a pourtant semblé interminable, tu t’es réveillé. Ne sachant plus trop où tu étais, tu voulais t’en aller. Nous avions encore quelques heures à patienter avant de finalement recevoir ton congé. Près de 24 heures plus tard, nous pouvions enfin retourner à la maison.

Que retenir de toute cette histoire? Que le système de santé est malade et inadapté. Que tout ceci aurait pu être évité. Que les ressources en santé mentale sont inappropriées, que des enfants et des adultes ne devraient pas avoir à cohabiter. Que les médecins sont dépassés, qu’ils émettent de recommandations à la hâte sans tout analyser. Que les intervenants auprès des patients ne sont pas formés pour intervenir adéquatement. Qu’on n’intervient pas auprès d’un enfant autiste comme on le ferait avec un adulte psychotique. Qu’un peu de compréhension et d’humanité seraient appréciées.

Le seul côté positif que je retiens suite à cette mésaventure, c’est que deux nouveaux alliés se joignent à ton dossier. En plus de l’équipe-école et des intervenants du SRSOR et du CLSC, la DPJ et l’équipe de pédopsychiatrie seront présents à nos côtés afin de trouver la meilleure solution pour t’éviter de vivre à nouveau ce genre de situation. Peu importe la décision que j’aurai à prendre pour ton avenir, sache que c’est par amour que je le ferai, dans le seul but d’assurer ta propre sécurité, car pour rien au monde je ne veux risquer de te perdre mon bébé…

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Enseignante en adaptation scolaire, spécialisée auprès de la clientèle vivant avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA), je côtoie la différence au quotidien depuis plus de 20 ans. Mère monoparentale de 3 magnifiques enfants, un garçon et deux filles, le hasard (ou le destin) aura voulu que fiston naisse avec un trouble envahissant du développement non-spécifié (ancienne appellation pour le TSA). Un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH), beaucoup d'opposition, d'anxiété et d'impulsivité se sont également manifestés chez lui au fil des années. Suite à un parcours et à une scolarisation difficiles, de récentes évaluations ont été poussées plus loin, dont un test génétique, où il apparaît que fiston est porteur du syndrome XXYY, en plus de deux nouveaux diagnostics de SGT et de dysphasie. En mai 2013, j'ai créé la page Facebook Aide à domicile afin de trouver un accompagnateur pour fiston lors de la période estivale. La page changera plus tard de vocation, pour devenir Enfants différents besoins différents qui se veut davantage un réseau de recherche et de partage d’informations pour les parents, intervenants et toutes personnes concernées par la différence de nos enfants. Ce site Web est donc l’aboutissement de ma page et a pour objectif de sensibiliser le plus grand nombre de gens possible face à la différence sous toutes ses formes.